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PREMIÈRE ÉDITION EN 1959, CHEZ LES ÉDITEURS FRANÇAIS RÉUNIS drapeau anglais

Highslide JS
Livre Tu parles!...
Éditeur : Les Éditeurs Réunis
Première édition 1959
Couverture recto et verso
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Livre Tu parles!...
Éditeur : Les Éditeurs Réunis
Première édition 1959
Dédicace à son ami Jean Rollin
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Livre Tu parles!...
Éditeur : Les Éditeurs Réunis
Première édition 1959
Reproduction d'un portrait à l'huile de la mère de Boris
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Livre Tu parles!...
Éditeur : Les Éditeurs Réunis
Première édition 1959
Début du texte


DEUXIÈME ÉDITION EN 2004, CHEZ L'HARMATTAN

Highslide JS
Livre Tu parles!...
Éditeur : l'Harmattan
Deuxième édition 2004
RECTO
Highslide JS
Livre Tu parles!...
Éditeur : l'Harmattan
Deuxième édition 2004
VERSO


André WURMSER, L'Humanité, 1959

BEAUX-ARTS ET BELLES LETTRES

On n'avait pas attendu Tu parles pour savoir que Boris Taslitzky a un joli brin de plume à son pinceau, et ceux qui ont l'avantage de connaître non seulement la peinture, mais le peintre ne seront pas surpris par cette honnêteté farouche jusqu'à la puérilité, cette noblesse sans apprêt, cette modestie incurable et cette tendresse un peu découragée.

Tu parles est un livre de souvenirs d'enfance et de jeunesse, comme il en est tant, et il n'en est pas tellement qui aient cet accent, fait de gouaille de Titi parisien et de bonhomie, de colère et d'amour. L'auteur écrit en exergue : « Ce n'est pas parce que la clef est sur la porte qu'il faut vous dispenser de frapper avant d'entrer. »

À la vérité, on entre chez l'auteur sans frapper, non pas parce que la clef est sur la porte, mais parce qu'il vous ouvre lui-même, parce qu'il vous donne lui-même ses clefs. On entre chez lui, et c'est comme à cet âge dont il rapporte les délires, les enthousiasmes et les malheurs quand un ami furieusement aimé — depuis 15 jours et pour toute la vie — vous reçoit pour la première fois. On regarde le décor, les meubles, les photographies sur l'étagère. On leur demande ce qu'on ignore encore de l'ami. On n'en est dérouté, un peu jaloux, « Maman, je te présente mon ami ». « Madame… »

La différence entre l'expérience d'autrefois et le livre d'aujourd'hui, c'est que la mer, les portraits, l'étagère, on les regarde cette fois avec des yeux de Boris Taslitzky. Aucune erreur d'interprétation possible. On comprend leur rôle, leur signification, comment ils ont concouru à la formation de l'homme — la photographie du père mort à la guerre, le lit dans le corridor et la pauvreté, la mère surtout, la mère ouvrière, qui ne sait presque rien et devine presque tous, et qui de l'homme mûr parle avec un amour filial constant, si déférent, si reconnaissant, si juste, si profond, si émouvant que tout à la fois il avive en nous la douleur la plus inconsolable et la moins partagée — et fait songer aux plus belles pages de Charles Louis Philippe. Il n'est pas du tout question, dans ce livre, des convictions et de la philosophie de Boris Taslitzky, mais on comprend comment et pourquoi il devint ce qu'il est : un peintre — est un homme.

Un peintre — car ce ne sont pas seulement souvenir d'enfance et de jeunesse que Tu parles mais aussi le récit des années d'apprentissage, les premiers pas, les premiers faux-pas, dans la carrière souhaitée — avec tout ce que comporte de mauvais embranchement, de doutes, de temps perdu, de regrets, de tâtonnements, la faute d'être né dans un milieu humble — pauvre. Il n'y a pas d'amnistie pour un délit pareil : on en traîne le souvenir toute sa vie ; la cicatrice reste douloureuse, même après des épreuves tout autres… Mais aussi que ne doit-on pas à cette irremplaçable expérience ! Elle vous enseigne à mépriser, non la culture, mais le superbe mépris des Pharisiens pour ceux qu'ils privent de culture : on admirera que Boris Taslitzky, répétant une naïve et incompréhensive conversation d'ouvriers sur la peinture, n'en tienne les conclusions ni pour sottes, ni pour parole d'évangile, sachant bien que ceux à qui il incombe de transformer le monde transformeront, du même coup, et l'art, et leur propre goût. Elle vous enseigne — cette expérience — la haine sainte : « Ma haine contre ces gens, elle vient de loin, elle est aussi profonde que les yeux de maman, elle est sans fond sinon celui des âges où sont enfouis des millions de millions de spoliés ». Elle ne vous apprend, hélas ! ni écrire ni à peindre, mais on reconnaîtra un jour que si l'on écrit ainsi, et si l'on passe cela, c'est encore à cause d'elle (« La peinture est une telle confession qu'elle ne peut tromper personne »).

Dans son style qui a l'air à la va comme ça vient, truculent et cocasse, brillant et incorrect (selon les règlements en usage) et plus avant qu'il ne semble, dans son style parlé (« Le musicien s'amena… ») et rapide (« la morale d'un monde qui en parle sans en avoir ») le peintre transpose tous les modes de son art — le paysage, le portrait, le tableau d'histoire. Avec peu de penchant, excusez-le, pour la nature morte, déplorablement morte.

On ne s'étonnera pas que les portraits soient particulièrement réussis : portrait de la mère de l'artiste — il en est beaucoup — portrait d'intellectuels slaves (« il faisait suer l'âme russe à chaque touche du piano, l'âme russe qu'il disait ») portrait d'un instituteur : « c'était un homme très bon qui essayait d'être juste, qui ne méprisait personne et ne s'aplatissait pas devant ses supérieurs. Il était très petit et en souffrait. C'était tout simplement un de ces milliers de héros quotidiens qui font bien leur métier, qu'il aime sans bruit, que nul ne songe à prendre pour exemple et qui sont la richesse véritable d'un pays », portraits de femmes, de perruches, de rapins, de Monparnassiens, d'adolescents, d'enfants.

C'est aussi toute une époque qui revit sous la plume du peintre d'histoire, la guerre, l'après-guerre (la première), la crise, et les communistes qui, ça on ne peut pas le nier, veulent brûler le Louvre — toute une époque vue par les yeux d'un enfant, d'un adolescent, d'un tout jeune homme. (Avec, jeune homme, une erreur affreuse : les laiteries Maggi n'avaient pas mauvaise presse en 1918 mais en 1914 : c'est cette année-ci et non celle-là que notre patriotisme explosant à grand jet de pierre, «il y eut des bris de vitrines»).

Mais, justement parce que le livre veut nous transmettre une expérience, c'est le petit ou le jeune Igor qui le plus souvent occupe toute la toile. L'adolescence, âge malheureux, maladroit et fébrile des découvertes multipliées — « cela en faisait, tout ça, des premières fois » — est cernée d'une phrase, juste et courte : « J'ai deux horreurs, celle que l'on s'occupe de moi, celle que l'on ne s'occupe pas de moi. » L'enfance, la merveilleuse enfance revit par l'art souriant, et ce comique si vrai, si frais, que cache la voix de basse et le sourire un peu désabusé de Boris Taslitzky : « le spectacle commençait avec les actualités. Je me demandais bien qui ça pouvait intéresser. M. Mitterrand inaugurait une foire, le maréchal Pétain décorait des anciens combattants civils. Il leur donnait des coups de sabre sur les épaules, et puis ils s'embrassaient. « À leurs âges ». Le récit passe insensiblement du temps de la narration aux phrases mêmes de l'enfant : « Enfin, le vrai cinéma… Sur son maigre bidet, le cadet de Gascogne arrive à l'auberge de Meung, le comte de Rochefort, l'âme damnée du cardinal, se moque du cheval. « Tel rit du cheval qui n'oserait rire du maître ». Alors, mon vieux, le comte de Rochefort, il sort son épée et vlan! D'Artagnan aussi. Mais les gardes du cardinal s'amènent ; ils étaient bien vingt. D'Artagnan formidable, tu sais, pan et pan, il en étale des tas, tiens, comme ça ! Non, tiens pas ta règle comme un cierge. »

Cependant, c'est le récit des années d'apprentissage qui constitue l'apport le plus personnel de ce livre charmant. Tu parles ? Non : tu dessines. Tu seras peintre, toi aussi. Garde-toi à droite : l'argent qu'il faut bien gagner, par quelque travail absurde que ce soit, les toiles qu'il faut bien acheter, les « seconds » métiers, comme ils disent, pudiquement. Quand ils s'abaissent à ces considérations sordides. Forme, masse, volume, palettes, facture. Facture ? Tu parles ! Garde-toi à gauche : le métier — le métier de peintre cette fois — qu'il faut apprendre, les préjugés qu'il faut combattre, ceux des autres (ça n'est pas le plus grave) et ce dont on a hérité, les routines qu'il faut briser, et en fin de compte : tout concilier, la pensée et l'expression, l'enseignement et la personnalité, la tradition et son propre temps.

Si de chaque profession quelqu'un savait parler comme Boris Taslitzky de la peinture, quel renouveau d'intérêt ce serait pour la littérature ! « Comment je devins qui je suis » — un beau titre pour une collection imaginaire ! Elle a ses classiques, Gorki, en tête, et c'est bien autre chose qu'une littérature de confessionnal.

Mais à tant de qualités de cœur et d'esprits qui font aimer l'auteur autant que le livre, il me faut ajouter une vertu fort rare : Boris Taslitzky sait parler peinture dans un langage miraculeusement compréhensible.

Ce n'est pas sa moindre originalité.

André WURMSER

Pierre GAMARRA, L'Humanité, 1959

UN PEINTRE DEVIENT ROMANCIER
« Tu parles »
de Boris Taslitzky


Il nous est né, ces temps-ci, un écrivain. Ce n'est pas un événement tellement banal, quoi qu'on puisse penser. Et d'abord, ma formule mauvaise : un écrivain, un romancier, un raconteur d'histoire ne naît pas, ne surgit pas comme par enchantement. Il se forme avec lenteur, patience, difficultés… Cet écrivain, c'est un peintre que vous connaissez et que vous admirez : Boris Taslitzky. Ce n'est plus un tout jeune homme, c'est, comme on dit, un homme « fait », un homme qui a vécu déjà, souffert, aimé, lutter et qui éprouve le besoin à ce moment de sa maturité de regarder la courbe de sa vie, de ressusciter le temps de son enfance, de sa jeunesse, de sa formation. Alors, il laisse le pinceau et prend la plume. Il abandonne un instant le combat de la main avec la ligne ou la couleur pour cet autre combat de la pensée et des mots.

Il est vrai que le héros de ce récit, de cette « chronique », ne s'appelle pas Boris mais Igor… En vérité, l'auteur donne toujours beaucoup à ses personnages. Et dans « Tu parles… (1) puisque tel est le titre de ce livre et il correspond bien à la savoureuse linéarité du récit, les personnages sont visiblement nourris de la chair et du sang de l'auteur. On sent qui les a tirés tous vivants, tout frémissants de ses souvenirs, de ses peines et de ses joies, de son espérance. Et avec eux, toute une époque est ressuscitée, ces temps de l'immédiat avant-guerre (de 1914), de la guerre et de l'après-guerre dont nous avons l'exacte sensation grâce à mille détails de mœurs, de costume, de langage.

« Lorsque mes parents vinrent habiter aux 168, de l'avenue de Choisy, ils y furent fort mal accueillis. Ils ne furent longtemps que les Russes du troisième. M. Benoît (l'inénarrable mari de la concierge dont je vous recommande le portrait !) se plaisait à rabrouer ma mère dont on ne comprenait pas le charabia. »

« Ma naissance transforma ses rapports difficiles. Mon père cessa d'être poète pour devenir ouvrier mécanicien (…) M. Benoît jugea qu'il devenait sérieux puisqu'il se mettait au boulot pour nourrir son gosse. Le russe émigré politique lui devint peu à peu sympathique parce qu'il était devenu ouvrier. Il glissait sur le fait que le russe avait été ingénieur dans son pays et lorsque mon père fut promu chef d'équipe, M. Benoît lui paya le jus. »

Le père tué à la guerre, la mère demeure seule avec l'enfant. Ce sont les années d'école, les années d'apprentissage aux divers sens du mot, la découverte de la peinture… Mais je n'ai aucunement l'intention de vous raconter cette histoire (ou plutôt ces histoires). Les résumer en dix lignes ne servirait de rien : ce serait en détruire la couleur, la verve et la richesse. Je vous dirai seulement que ce livre est un précieux document d'atmosphère historique et psychologique, qui nous fait revivre, vivre dans des années à la fois proches et lointaines où notre monde d'aujourd'hui naissait avec son bien et sont mal.

Un document ? Que le mot ne vous effraie pas. Ce récit n'a rien d'austère ou de desséché. Il vous passionnera et il restera dans votre mémoire justement par son ton bien personnel, sa voix amicale directe, sa verdeur bon enfant, la façon dont ce jeune homme découvre le monde et nous le fait découvrir. Rien est guindé ici mais sans débraillé, sans vulgarité. La voix s'assourdit parfois, se teinte d'émotion et de tendresse. L'amour filial, la naissance des amours adolescentes y sont dits dans des pages très belles. L'auteur a mis ici tout son cœur et, je vous l'assure, ma phrase n'est pas un cliché. Et comme ce peintre aime son métier et sait nous en faire voir sans vain charabia les difficultés et les lumières !

Il y a des auteurs artificieux et des livres artificiels : cette œuvre, voyez-vous, a la douceur et la chaleur de la pure laine. On a envie de répondre au titre à la façon de la bande qui entoure le volume : « Cause toujours, tu m'intéresses. »

Donc, le 11 avril prochain, lors de votre visite au Vel' d'Hiv', notez d'aller serrer la main de Boris Taslitzky et de lui faire dédicacer « Tu parles ». Vos emplettes de la journée commenceront bien.

Pierre GAMARRA
(1) Les Éditeurs Français Réunis