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BORIS TASLITZKY PEINTRE ET ÉCRIVAIN D'ART, TEXTE D'ISABELLE ROLLIN-ROYER drapeau anglais

En 2006, le n° 8 des Annales, consacre un important dossier « La passion de la peinture », au critique d'art George Besson et au peintre Boris Taslitzky. L'ensemble donne à envisager les relations de l'artiste avec ceux, qui, parmi les plus grands, l'ont soutenu et aimé. George Besson, Francis Jourdain et bien entendu Louis Aragon.
Ce recueil propose, entre autres images, la reproduction, noir et blanc, d'une œuvre de Boris Taslitzky
Boris Taslitzky – Trois figures de l'artiste autour de sa mère (1931)
, malheureusement disparue et dont les dimensions ne sont pas connues. Il s'agit d'une peinture de jeunesse. Son auteur a alors vingt ans et se représente en un triple autoportrait : le peintre, le poète et le sculpteur entourent la figure centrale de la mère de l'artiste. Le peintre est le seul à fixer le spectateur. Le regard des autres doubles, ainsi que celui de la mère du trio complémentaire, se perdent dans le vague d'un hors champ qui disperse la composition à l'extérieur des limites de la représentation. Les choses, déjà, sont dites. Elles concernent le rêve éveillé d'un pouvoir d'universalité créatrice. Mais, en même temps qu'elles sont posées, elles échappent : le spectateur ne peut observer simultanément tous les protagonistes de la scène, il est contraint de s'attacher à les contempler l'un après l'autre. La suite montrera que le rêve est aux deux tiers réalisé : Boris Taslitzky est un peintre qui peint et qui écrit.
Est-ce pour se défendre de ses propres qualités que dans un texte consacré à Jean Lurçat, il récuse ouvertement le manifeste talent d'écrivain que l'on rencontre parfois chez certains plasticiens ? « Quelque admirables que soient les écrits de Jean Lurçat, ils demeurent ce qu'il voulut qu'ils soient, une dépendance indispensable et un écho de son art de peintre, de tapissier. » Cependant, le principe, une fois établi, Boris Taslitzky n'a de cesse de le désavouer, de le déjouer, nommant Lurçat : « Poète des couleurs, des formes et des mots, […] ». Ainsi, il déclare : « Lurçat écrit comme il peint, comme il parle, délicat, mais tout en couleurs. » Cette fascination, pour la mise en équivalence de l'éloquence des écritures chez Lurçat se confirme lorsque Boris Taslitzky affirme : « Il écrivait comme d'autres dessinent et je dirais ici qu'il dessinait ce qu'il écrivait. Son écriture était d'une qualité et d'une beauté exceptionnelles. Très lisible et en elle-même œuvre d'art, faite d'arabesques qui se regardent avant de se déchiffrer, […] ».

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GÉRICAULT, HÉROS DE ROMAN

Ce n'est pas d'hier, ni du succès qui, aujourd'hui, se dessine pour son dernier roman, que j'admire en Aragon l'œuvre et l'homme. C'estdu plus lointain passé, de cette époque qui semble à présent improbable aux jeunes gens qui ne savent pas encore la situer dans l'Histoire, sur laquelle pèse déjà tout le poids des falsifications, de ce temps très ancien tant les événements vont vite, d'il y a vingt-cinq ans. Alors naissait le premier roman de la série du « Monde réel », Les Cloches de Bâle. Je me souviens du coup magistral que j'en ressentis, car pourla première fois s'exprimait de notre temps, en notre langue, une œuvre pétrie de réalité et d'un romantisme tout moderne qui s'inscrivait par la puissance de son accent, dans l'impeccable lignée d'une tradition nationale à laquelle s'abreuvait mon enthousiasme au Louvre, devant la Méduse et Le Four à plâtre. Je m'émerveillais de trouver dans la littérature l'empreinte nouvelle de ce sceau que je désespérais de ne pas percevoir dans la création plastique contemporaine. J'en ressentis l'éblouissement du génie, car c'est de cela qu'il s'agit, et n'en déplaise à tous ceux qui portent le nez plus haut que le front – ce qui, à tout prendre, ne ressort que d'un exercice physique – lorsque un homme reconnaît chez un autre cette sorte de monstre admirable,un porteur de génie, leurs relations s'en trouvent forcément modifiées.Il n'y a plus d'égalité possible parce que s'instaurent de ces notions hiérarchiques qui sont belles et grandes à compter de la forme d'esprit qu'on y porte, même si elles s'imprègnent d'une inévitable subordination qui est celle de l'échelle des grandeurs, supportable à la condition qu'en soit chassée toute marque de servilité.

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DELACROIX ET LE ROMANTISME FRANÇAIS

Le 13 août 1863, à sept heures du matin, Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre et écrivain, mourut à Paris, dans son appartement de la place Furstemberg. Ce fut en toute lucidité qu'il s'éteignit, les mains dans les mains de sa gouvernante, Jenny Le Guilloux. Parcequ'il était commandeur de la Légion d'Honneur, conseiller municipalde Paris – nommé par Napoléon III –, et membre de l'Institut, les honneurs militaires furent rendus à sa dépouille par un peloton de gardes nationaux. Devant sa fosse, ses collègues des deux assemblées firent des discours afin que la bonne société, dont il était un fleuron, pût estimer lui avoir rendu ses devoirs de façon convenable. Après quoi, le fonds d'atelier fut dispersé aux enchères publiques, comme c'était alors l'usage.
II n'eut pas droit à l'Hommage national, cérémonie réservée en principe aux hommes d'État, aux militaires, dont trop souvent sont privés ces grands citoyens que sont parfois les savants, les artistes et qui ne s'adressent jamais aux cuisiniers.
II avait au cours des mois qui précédèrent sa fin, signé l'Orphée et Eurydice du musée de Montpellier, Ovide chez les Scythes, La Médée furieuse, puis reprenant les notes du voyage qu'il fit jeune encore au Maroc et en Algérie, il avait achevé une réplique d'Abd-er-Rahman et enfin ce petit tableau, peut-être sa dernière œuvre, qui résume la force irrésistible de sa vie créatrice, La Lionne prête à s'élancer, que conserve le Musée du Louvre.

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EUGÈNE DELACROIX

Aucune autre œuvre que la sienne ne m'a tant occupé l'esprit et cela depuis l'enfance, quand bien même je lui ai préféré, profondément, celle de Poussin ou de Géricault. Je lui dois dès l'abord une libération : n'avoir jamais eu honte du romantisme qui m'occupa par tempérament dès mon entrée dans le métier, en un temps où il était de bon ton d'en rejeter toute atteinte. Alors, à l'École des Beaux-Arts où j'étais élève, Poussin était bien bourgeois, David pompier, Ingres conventionnel, Géricault vulgaire, Delacroix bric-à-brac, Chasseriaux rien, Courbet trop noir ou trop vert, l'Impressionnisme anecdotique, seul régnait Cézanne, curieusement cloîtré dans la tranche d'Histoire qui l'isolait de toute filiation picturale. Cette année-là – 1931 – eut lieu au Louvre l'éblouissante rétrospective Delacroix qui n'eut pas d'influence sur l'esprit de mes congénères. Mon enthousiasme était tel qu'il devint de rigueur, dès que je paraissais à l'Atelier, de hennir tous en chœur, de taper du pied et de ruer. C'était très amusant et beaucoup plus sérieux qu'il n'y paraissait.

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UN COMMUNARD NOMMÉ COURBET

Le nom de Courbet, son action d'homme, de citoyen, d'artiste, sont devenus pratiquement synonymes de deux notions conjointes et redoutables, le Réalisme et la Révolution qui près d'un siècle après sa mort, le rendent encore suspect à ceux qui ne veulent voir en lui qu'un formidable technicien de la peinture, intellectuellement borné, et le font respecter par d'autres que son art laisse assez froids, par ignorance, mais que subjugue surtout son action de Communard.
Révolutionnaire certain, mais tâtonnant longtemps politiquement sur le fait révolutionnaire, proudhonien, ignorant jusqu'au nom de Marx, s'inscrivant aux derniers jours de la Commune, par instinct, dans le groupe de la minorité la plus avancée de l'Assemblée, il tonitrua le langage de la révolution en en cherchant le style contemporain débarrassé de l'emphase de 89 qu'il disait ne plus recouvrir les réalités de son temps, sans savoir encore passer à une action organisée jusqu'à la Commune où, au cours d'une élection partielle, élu du VIe arrondissement, il sut s'élever au niveau des vraies responsabilités politiques. Grand peintre, il trouva d'emblée la voie de la Révolution bien avant d'entrevoir celle de l'action structurée, accumulant des chefs-d'œuvre qui hérissaient de haine – et parfois d'admiration –l'esprit des possédants et de leurs chiens de garde idéologiques, les esthètes post-romantiques, sans jamais apporter dans son œuvre de ces éclats lyriques qui tiennent à l'allégorie et au symbole qu'il rejeta avec dégoût, toute sa vie. Un grand parti ouvrier peut de notre temps prendre à Delacroix ou à Dalou une superbe figure de République pour illustrer par l'image la tribune d'un Congrès.

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PLAIDOYER POUR EUGÈNE FROMENTIN

Voici cent ans déjà que paraissait un petit livre sur l'Algérie, Une saison dans le Sahel, dont l'auteur était un peintre connu, Eugène Fromentin, salué comme un grand écrivain par George Sand et Flaubert. Il devait par la suite, et sans cesser jamais de peindre, écrire trois autres ouvrages dont le succès fut grand, qui auréola son nom de la double gloire du peintre et de l'écrivain, mais lui attira la méfiance de ses confrères de la palette et de l'écritoire. Il mourut célèbre et fut bientôt oublié.
Tout fut injustice dans son sort posthume. Les écrivains le tinrent pour un petit peintre, les peintres pour un raseur de la plume, n'exceptant cependant pour un temps que Les Maîtres d'autrefois, ce chef-d'œuvre que presque personne ne lit plus. Je soupçonne fort les premiers de n'avoir jamais regardé ses tableaux et mes confrères d'avoir trop ignoré ses écrits.
On peut encore rencontrer quelques personnages graves, chargés d'ans et d'arrière-petits-enfants qui se souviennent d'avoir lu Dominique. Ça ne fait pas riche de leur en parler. « Dominique, vous aimez ça ? Quel drôle de goût ! » Il est prudent alors de remballer ses outils si l'on tient à conserver quelque aspect d'honorabilité intellectuelle et, le diable me pardonne, mieux vaudrait évoquer le nom de Henry Bordeaux que celui de Fromentin.
Je ne parviendrai pourtant jamais à admettre que ce nom demeure attaché à la brocante du Second Empire, au clinquant de l'orientalisme. La postérité joue de ces tours aux créateurs de genre qu'elle confond volontiers avec leurs épigones. Je ne crois plus à la justice immanente de cette très vieille et toujours trop jeune grande dame, dans le giron de laquelle les malchanceux déversent tant d'espérance. Vous et moi, qui sommes les héritiers du passé, y voyons-nous si clair ? Pensons-nous si juste ? N'avons-nous pas épousé bien des querelles, accepté sans contrôle et pourtant sans remords tant de classifications léguées par l'hier et l'avant-hier de l'histoire que l'éducation reçue nous fait tenir pour certitudes ? Il me paraît probable que notre jugement, marqué au sceau de la trépidation de l'époque, comporte autant d'ombre que de lumière.

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MARCEL GROMAIRE

L'art de Marcel Gromaire est un exemple magistral de construction et de lumière rigoureusement unies. De construction, pas de gesticulation ; de lumière, pas d'éclairage. D'où un flot de sensualité toute humaine parce que picturale, contrôlée par une rigueur qui fait la gloire de l'école française, qui relie son œuvre aux merveilles d'une des traditions nationales dont le Roman, le Gothique, Nicolas Poussin ou Georges Seurat sont quelques-uns des jalons, sans que pour autant n'intervienne en rien chez Gromaire la dommageable attirance del'imitation. C'est la très grande voix de l'homme solidaire des autres hommes, qui sait tirer la substance de sa création de la démarche de ceux avec lesquels il a choisi d'aller du même pas, de traduire leur réalité pour la leur restituer, passée au tamis d'une des plus fortes personnalités plastiques de ce siècle. Là, la matière se fait esprit dans une unité impeccable parce que l'Art dit très haut que l'esprit est matière. Secret et sévère dans l'élaboration de sa création, la générosité formidable de son tempérament irradie de son enthousiasme contrôlé. Le hasard fut-il heureux ou même savoureux n'a nulle place en sa création où tout est volonté, produit de l'analyse implacablement dialectique, dont le statisme se fait, par le miracle d'une science plastique extrême, ardeur, certitude, chaleur, solidité et, oserais-je le dire MOUVEMENT, si l'on veut bien entendre ce mot débarrassé du sens que le cinéma lui apporte. Ici, c'est la plastique qui est en mouvement, la plastique qui par delà le statisme apparent nettement exprimé, explose en un cri dont la violence nie les hurlements, ces désordres du chiqué de la brosse habile qui ne sont que caricatures du mouvement. Ce n'est pas le vernis qui donne éclat à sa peinture, c'est la peinture à tons comptés et implacablement hiérarchisés qui offre en cadeau cette réalité éclatante de la vie palpitante d'où nait la saveur qui, par letruchement du regard, porte à la sensation de gourmandise et de possession que seuls les plus grands artistes savent communiquer, non suggérer.

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« MONSIEUR » FRANCIS JOURDAIN

La première fois que je l'ai vu, il y a bien longtemps de cela, plus d'un tiers de siècle, j'étais un jeune peintre qui de concert avec un autre de son âge qui ne doutait de rien, s'était mis en tête de réunir les hommes de la profession afin de discuter des revendications professionnelles, et, pour ce faire, nous n'avions rien trouvé de mieux que de les convoquer par voie d'affiches et de notre propre décision, à la Bourse du Travail ! Mais comme nous ne savions pas quoi au juste leur raconter, sinon que nous étions fort mécontents nous-mêmes et parfaitement décidés à transformer le monde, ce qui ne devait pas être aussi difficile que l'assuraient les sceptiques de notre connaissance, nous partîmes à l'assaut d'orateurs qui, eux, savaient tout ce qu'il faut dire et avaient la puissance de faire sortir de la tanière du désespoir et de la solitude une masse d'artistes dont je ne jurerais pas ce soir qu'il n'entrait pas dans notre décision aussi vague qu'informulée, de les diriger en bataillons serrés sur je ne sais quel Élysée, faire la Révolution et prendre un pouvoir dont ils verraient bien alors ce qu'ils feraient. Le plus court chemin pour la découverte des orateurs possibles nous parut être le siège du PCF dont nous n'étions pas membres parce qu'il nous avait été dit que ces messieurs voulaient brûler le Louvre, mais nous allâmes les trouver parce qu'ils étaient des révolutionnaires et que nous voulions tout chambouler, moins le Louvre. Notre demande fut prise en considération, ce qui nous sembla la chose la plus naturelle du monde et l'on nous délégua un député dont je dois dire pour être fidèle à la vérité historique, qu'il a depuis fort mal tourné. Mais il nous fallait un président, et sans demander avis à personne et surtout pas à l'intéressé, nous fîmes imprimer un cent d'affiches qui annonçaient que la réunion serait présidée par Francis Jourdain.

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EN RELISANT JEAN LURÇAT

La mort nous a ravi Jean Lurçat, notre camarade. Il avait fait beaucoup pour la culture et le rayonnement de la France, éclairé de ses mille soleils en fête tous les continents. Ce grand homme était un communiste, il n'eut pas droit aux obsèques nationales. N'importe.
En octobre 1958, Jean Lurçat écrivit pour La Nouvelle Critique un texte que nous publiâmes en novembre, dans le n° 100. Nous republions ce texte aujourd'hui, comme pour faire réentendre sa voix conquérante, la grâce qu'il savait lui donner, la force qu'elle communiquait, par cet appétit gourmand et si généreux qui était le sien devivre et de mieux vivre pour tous.
En relisant Lurçat, je ne puis que dire, très partiellement, ce que fut l'homme auprès duquel je vécus une année en des temps où il était dangereux d'exister, à une époque où, tout semblant s'y opposer, il venait d'entreprendre de faire renaître un art et une industrie pour la plus grande gloire de son pays insulté, muselé, mais insoumis. Le relisant, je revois l'artiste écrire. Il aimait la fonction, le fait matériel d'écrire. Il écrivait comme d'autres dessinent et je dirais ici qu'il dessinait ce qu'il écrivait. Son écriture était d'une qualité et d'une beauté exceptionnelle. Très lisible et en elle-même œuvre d'art, faite d'arabesques qui se regardent avant de se déchiffrer, pour le plaisir qu'offre la contemplation d'un très bel objet. Il écrivait d'abondance,comme s'il conversait, mais il est vrai qu'il était maître du langage, de son langage, parce qu'il était maître de sa pensée. C'est dans sa cuisine qu'alors il s'attablait pour écrire, entre le fourneau à bois sur quoi mitonnaient des plats dont il surveillait la cuisson avec un soin jaloux, et son chien afghan, Ouglie, personnage principal de ses tapisseries du moment, constamment inquiet de sa présence. Lurçat entretenait une vaste correspondance qui ne semblait pas lui peser.

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JEAN LURÇAT

J'ai fait la connaissance de Jean Lurçat fin 1933 à l'« Associationdes Écrivains et Artistes révolutionnaires » qui se transforma en 1934 en « Maison de la Culture » dont Louis Aragon devint le dirigeant et qui, dès 1936, avait rassemblé 40 000 adhérents par l'apport de ses filiales de province, sur le territoire national. Cette organisation avait participé à l'élan et à la création du Front Populaire, son mot d'ordre était « Contre la guerre et le fascisme et pour la défense de la Culture ». Jean Lurçat était membre du Comité directeur de l'une de ses organisations constitutives, celle des « Peintres et Sculpteurs »
En 1939, il m'avait demandé de venir l'aider à l'élaboration de petits cartons de tapisserie dans son atelier de la Villa Seurat. Ce fut là une collaboration éphémère interrompue par la guerre et mon rappel aux armées. Nous avons correspondu durant la « drôle de guerre » où il était à Aubusson avec Marcel Gromaire et Pierre Dubreuil, tous trois chargés de créer de grandes tentures pour le compte de l'État.
Après la débâcle, prisonnier de guerre évadé, je passais clandestinement en « zone libre » dans le but de me faire démobiliser, ce qui n'était possible qu'en fournissant un certificat de travail et d'hébergement. J'écrivis à Lurçat de m'envoyer ce certificat bidon ! Il me répondit par retour du courrier et je vins à Aubusson me faire démobiliser. C'est alors que Lurçat me demanda de rester quelque temps auprès de lui afin de l'aider à la réalisation de quelques cartons dont il avait la commande.
Nos journées de travail débutaient très tôt par une balade dans les bois à la recherche de champignons, de châtaignes et au ramassage de petits bois secs pour allumer le poêle de l'atelier qui lui était attribué dans les établissements Tabar.

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MON AMI FRANCIS GRUBER

C'est dans son atelier de la Villa Alesia qui fut aussi celui de son frère, maître verrier, que Francis Gruber mourut, voici un an, assisté tout le temps qui précéda et que dura son agonie par le sculpteur Giacometti.
Il avait 36 ans. Malade depuis l'enfance, il était cependant la figure la plus merveilleuse et la plus attractive des peintres de sa génération. Il nous stupéfiait tous par la profondeur de sa culture, l'élan de sa générosité passionnée et ses poussées brusques de gaieté irrésistible auxquelles succédait sans transition un réquisitoire implacable contre les responsables de la misère publique.
Ceux qui sont venus s'incliner devant son cercueil dans l'atelier aux tentures tirées, aux lumières voilées, se souviennent de ses deux derniers tableaux posés sur de lourds chevalets qui encadraient le drap funéraire sous lequel il reposait. Par-delà la douleur, l'enthousiasme s'empara de nous devant cette peinture claire, joyeuse, débordante d'espoir : un sujet très simple de jeune fille dans une verdure lumineuse où pépiaient des oiseaux. Que ce soit là son dernier message demourant, qu'il ait affirmé cette joie afin que nous la rendions réelle et palpable à tous, c'était là sa façon, se sachant condamné de nous montrer l'exemple une fois encore. C'était sa manière de mourir en chantant, comme sont morts les héros de notre Parti dont Francis était membre.
Ce n'était pas encore le temps où notre Parti très jeune, pouvaits'attacher à dégager des données économiques et sociales, dans le domaine de la culture, la ligne idéologique précise et souple, la direction qu'il a depuis exposée et montrée avec tant d'éclat.

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ALBERTO GIACOMETTI

Il y a trente ans passés, à la revue Commune qui ouvrait une enquête « Où va la peinture ? » Alberto Giacometti répondit par un dessin ; un homme debout sur pavé, saluait du poing fermé l'humanité combattante, en marche vers la réalisation concrète de son aspiration millénaire de justice et de liberté.
C'était l'époque de la grande lutte antifasciste et il était hautement significatif, qu'alors, l'un des plus grands artistes de ce temps prit ouvertement le parti de la Conscience.
Ce choix qu'il rendait ainsi public était un acte que ne démentit jamais sa création d'artiste jusqu'au soir de sa vie. Son œuvre témoigne d'une attention jamais en défaut, passionnée, tout entière attachée à scruter, à interroger le regard de ses contemporains et c'est en ce sens qu'il fut un militant, non du mystère et de l'irrationnel ainsi que certains ont pu le croire, mais de ce que l'homme a de plus profond,de mieux enraciné, qui le fait si haut, son acharnement à sa saisie de sa propre pensée, à s'en rendre maître. C'est pourquoi il fut un si fort portraitiste et je crois pouvoir affirmer que dans chacune de ses figures tout est œil, regards, expressions affirmées de sa puissance de pénétration, de connaissance, de communicabilité. Un tel effort sciemment conduit au long de son existence, annule toute idée de jeux d'élégance dandyesque, de tour de main, de facilité. L'art de Giacometti est un héroïsme chaque jour renouvelé, chaque instant durement consenti. Il savait qu'une telle tension pouvait le conduire à l'échec, il ne sut jamais s'il avait eu le génie d'en éviter l'écueil. Sa vie fut tissée des doutes constamment exposés, définis avec une faculté d'analyse qui constitua une grande leçon de clairvoyance pour qui savait l'entendre.

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MARCEL GIMOND

Marcel Gimond est sans conteste l'un des sculpteurs essentiels de notre siècle. Respecté par tous les courants, s'opposant à tous, admis par aucun, il fut un grand artiste célèbre et solitaire. L'homme s'exprimait avec une entière liberté dans une imparable causticité quifrisait la cruauté en d'incessants combats pour tout ce qu'il croyait juste, s'opposant fièrement à toutes les démarches esthétiques dès qu'elles lui paraissaient s'empreindre de supercheries, fussent-elles habiles à camoufler des indigences. Il a laissé des écrits sans concessions concernant ses affrontements d'artiste aux prises avec les réalités plastiques de son temps parsemées de multiples avant-gardes réelles ou auto-proclamées qui se sont succédé en cascades et par rapport auxquelles il sut déterminer son apport créatif.
On peut discuter ses analyses, les mettre en question, s'étonner parfois de leur virulence, il est impossible de douter de sa droiture etl'on ne peut qu'admirer sa passion combattante.
Il est né à Tournon au sein d'une famille d'artisans. Il fit ses études à l'École des Beaux Arts de Lyon. Ses premiers travaux attirèrent l'attention de Maillol qui s'exprimait peu en paroles mais qui l'admit à le voir sculpter et dont il s'imprégna de la leçon pratique sans pour autant chercher à en imiter la manière. Renoir plus particulièrement s'intéressa à sa démarche débutante, l'encouragea, l'admit dans son intimité familiale. Admirables mais redoutables parrainages dont ne se sortent entières que les plus fortes personnalités, sachant reconnaître leur dette sans pour autant perdre leur individualité. Gimond était de ceux-là qui savent s'enrichir de l'apport des aînés et leur succéder dans un cheminement qui n'appartient qu'à eux-mêmes, sans gesticulation visant à l'originalité à tout prix et hors de prix. La véritable originalité est naturelle aux grands artistes et le plus souvent ne se remarque qu'à l'analyse attentive de leurs travaux.
La place de Gimond est marquée dans le siècle plus particulièrement par l'art du portrait, dans lequel il occupe une place éminente.

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NOTE POUR UN PORTRAIT DE LOUIS BANCEL

Ce fut en 1948 que Louis Bancel s'en vint rejoindre les adhérents de l'Union des Arts Plastiques, à cette époque grande organisation de peintres et de sculpteurs. Elle était issue de la Résistance.
D'une taille un peu au-dessus de la moyenne, solide, d'une élégance naturelle sans la moindre affectation, d'une voix tranquille, d'un visage très structuré, il suggérait immédiatement une grande sympathie, s'exprimant dans un langage châtié d'où émanait uneforme d'enthousiasme dont la nature révélait un raisonnement fort contrôlé. Il avait 22 ans, nous venait de Lyon où il avait fait de très sérieuses études sous la direction du sculpteur Descombes.
Il s'était installé à Paris dans un atelier de l'île Saint-Louis, au rez-de-chaussée d'un immeuble ancien. Son local assez vaste prenait un jour avare dans l'ombre du Quai d'Anjou. Sur les sellettes et les étagères s'exposaient des sculptures de petits formats en plâtre, en terre cuite ou taillées dans la pierre, d'où émanait le spectacle singulier d'une maîtrise de facture et de pensée plastiques fort rare chez un artiste d'une telle jeunesse. La surprise provenait du fait que malgré leurs tailles si réduites, elles donnaient l'impression de la monumentalité. S'imposait alors la certitude que l'auteur avait déjà la carrure d'un statuaire auquel ne manquaient que les moyens matériels de réalisation. En ces temps-là, il subsistait péniblement en donnant quelques leçons de mathématiques ou en s'astreignant à divers petits boulots.
Il faut croire aux miracles, à ceux que font les hommes. Ce fut ce qui se produisit bientôt lorsque les dirigeants de l'Association1 Buchenwald-Dora, ayant décidé d'élever au cimetière du Père Lachaise, un monument à la mémoire des victimes du camp nazi, contactèrent Louis Bancel et lui demandèrent de concevoir le projet d'une sculpture de très grande dimension. Ils eurent le tact de ne lui imposer aucun programme et prirent la décision de l'inviter chacun chez soi à partager un repas au cours duquel ils racontèrent ce qu'ils avaient vécu, faisant toute confiance à la compréhension et au pouvoir d'analyse de ce jeune artiste, ancien combattant, à 18 ans, de la Résistance dans les maquis du Vercors.

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JEAN AMBLARD ET LES MAQUIS DE FRANCE

Pour l'hommage qui se rend à Jean Amblard, aucun lieu n'aurait pu être mieux choisi que celui-ci, où se développe son œuvre la plus connue, où entourée de ces frises monumentales qui sont comme le portrait de l'artiste, sa voix se mêle à nos propos et très haut et très fort, dit ce que furent nos maquis ici résumés par l'image d'un maquis d'Auvergne où le peintre fut acteur et témoin.
C'est fin 1945 que l'État commanda à Jean Amblard la décoration d'un panneau destiné à orner le hall du théâtre de Saint-Denis. La Municipalité décidait alors de transformer cette commande en votant un supplément de crédit à celui de l'État afin de décorer les murs de la salle du Conseil de vastes peintures qui témoigneraient de l'action de ceux qui sauvèrent l'honneur de la Nation profanée.
Jean choisit de peindre ces scènes où des jeunes gens montent la garde, saluent les couleurs, dans ces forêts qu'il connaissait depuis l'enfance, où pour le combat suprême il était venu rejoindre les siens, lui ce petit-fils de paysans qui depuis toujours, d'âge en âge sur les mêmes lieux, avaient vécu sur ces terres qui l'avaient vu naître.
Toute son œuvre passée et à venir est ici comme résumée dans sa décision d'artiste qui constamment a su allier le visage de l'homme, ses actions, aux divers contextes de la Nature, que ce soit pour le combat, le drame, la joie ou le travail, comme en témoignent les créations qui vont suivre au Château de Vouzeron pour le compte du Syndicat des Métallurgistes ou la décoration de la salle des Mariages de la mairie de La Courneuve et tous les travaux consacrés au Monde du Travail ouvrier, à l'animation de préaux d'écoles, et cela toujours dans un langage plastique clairement lisible, sans gesticulation ni emprunts faciles à l'allégorie et au symbole.

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