L'Atelier de Boris de Christophe Cognet

LECTURE DU FILM COMPLET

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LECTURE DES CHAPITRES DU FILM

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LE TOUR DU MONDE drapeau anglais

C'était un atelier d'artiste au cœur du treizième arrondissement où cet homme droit, à peine courbé par le poids des années, peignait des corps entremêlés et flamboyants sur une toile ronde - un tondo.
Les murs de l'atelier étaient constellés de toiles : des natures mortes, des portraits, des foules, des sujets historiques, des paysages...

L'espace, avec les années, s'était laissé grignoter par les quelques 800 tableaux posés à même le sol, sur la tranche comme il se doit. Les châssis se déclinaient par taille décroissante jusqu'aux plus petites pochades, qui seules s'offraient au regard.

C'était un monde en soi.

J’étais venu là grâce à des amis, Nadine et Michel Suret-Canale, qui m’avaient si souvent parlé de Boris. L’idée de faire un film sur sa vie nous est apparue comme allant de soit. Nadine allait m’assister – elle connaissait alors très bien Boris.

Le projet du film était de faire le tour de cet atelier - de ce monde - qu'il avait peint souvent, et qu'il peignait encore. Comme s'il s'agissait d'un portail ouvert sur les tremblements du vingtième siècle ; comme s'il s'agissait d'un lieu de mémoire – mais une mémoire qui ne peut s'appréhender que pas à pas, motif après motif, en prenant soin de retourner un à un les toiles, d’ouvrir les cartons à dessins, de feuilleter les carnets de croquis…

D’où le titre du film.

Boris a été assez vite d’accord sur l’idée de faire un film sur sa vie, mais il a fallu du temps pour en fixer les modalités – il avait connu par le passé des expériences malheureuses de tournage. Il y avait un dialogue constant entre son œuvre et l'histoire du siècle : c'est ce dialogue qu'il s'agissait de mettre en scène.

Il fallait permettre à sa parole de se libérer en toute sérénité. Ainsi, il a été convenu que, pour les entretiens, Boris allait rester assis dans « son » fauteuil – hélas pour l’équilibre plastique des cadres, car ce « trône » était d’une couleur verdâtre indéfinissable et, surtout, son propriétaire s’y enfonçait profondément, ce qui lui donnait une allure un peu avachie. De plus, le fauteuil était situé dos aux fenêtres : Boris allait être filmé à contre-jour : j’avais promis que nous ne déplacerions rien dans l’atelier, et que nous n’emploierions pas d’éclairage artificiel.

Nous avons tourné l’année de ses 90 ans. Comme il commençait à se fatiguer assez vite, les entretiens ont été découpés par tranches de demi journées (deux heures en fait, si l’on enlève le temps de l’installation et celui du rangement), à raison d’un par semaine. Il y eut 12 séances. Ce qui représente plus de 28 heures de rushes.

Outre l’équipe, très légère (un cadreur, un preneur de son, Nadine et moi), j’avais parfois convié Tamara de Poniatowska à se joindre à nous, elle connaissait bien la peinture de Boris et l’histoire de l’art, elle était ainsi susceptible de l’interroger et le relancer sur certains sujets mieux que je n’aurais pu le faire.

J’ai ainsi pu filmer ce travail de la parole qui se déploie et de la mémoire qui se construit ; à chaque instant était visible ce rapport si charnel que Boris entretenait avec les évènements, avec l’Histoire. Et Boris, en confiance, a pu ainsi nous faire profiter de ses exceptionnels talents de conteur ; tout en restant toujours au niveau de l’histoire individuelle, ses propos ont une portée universelle.

Nous avions convenu aussi que certains de ses amis viendraient discuter avec lui, en fonction des sujets et des époques abordés. Pour des raisons de construction du film – de cohérence et de rythme – tous n’ont pas été retenus au montage. Il y eut Pierre Durant, Jacques Gaucheron, Jean Suret-Canale, Michel Suret-Canale et Maurice Kriegel-Valrimont.

J’avais aussi demandé à Boris de suivre la réalisation d’une toile, de sa conception jusqu’aux finitions. Il travaillait à l’époque sur une série de nus masculins en train de se battre, qu’il appelait « Les Imbéciles », « car ils se battent, et ils ne savent pas pourquoi ». C’est l’une de ses « batailles » qui figure dans le film. J’allais le voir, seul, une fois par semaine. Il m’avait promis de ne pas travailler à son œuvre en mon absence, mais souvent, lorsque je revenais, je constatais que des petites retouches avaient été effectuées ça et là. « L’impatience… », confessait-il… Je garde un intense souvenir de ces séances où j’ai filmé l’engagement total – charnel, physique, spirituel – que signifiait le travail de la peinture pour lui. Nous avons ainsi dialogué sans mots tout un été, lui devant sa toile, moi derrière ma caméra.

Nous avons ensuite tourné, en équipe réduite – et sans vraiment de moyens techniques – les œuvres là où elle se situaient : dans son atelier et à son domicile, mais aussi dans les musées en France et à la Modern Tate à Londres.

Le PCF avait organisé une rétrospective des œuvres de Boris pour ses 90 ans, à Paris, place du Colonel Fabien. J’ai donc dérogé à la règle de ne pas sortir des toiles et de son atelier pour prendre quelques plans de cet événement, qui me semblait pouvoir ponctuer le récit du film – constituer un peu un point d’orgue – et rendre sensible les relations complexes que Boris entretenait avec le Parti…

Le montage a duré six mois.

La première eut lieu dans la grande salle du siège du PCF - un an après l’exposition qui avait été consacrée à Boris.

J’ai voulu faire le portrait d’un résistant - résistant au cœur de la seconde guerre mondiale, résistant aux modes artistiques, résistant aux petits et aux grands chefs, résistant au marché de l'art... Cette résistance, forte, inaliénable, qui n'a souffert d'aucune exception, est celle d'un peintre. C'est par sa peinture, par son art, que Boris a été en résistance.

Il portait en lui la nécessité de l'art, comme définition ultime de l'humain.

Christophe COGNET