En juin 1995, je suis invité à participer aux travaux d'une commission plénière du Fonds régional d'acquisition des musées.
Des conservateurs de dizaines d'autres musées de la région Île-de-France sont rassemblés. Tous sollicitent, et espèrent, une subvention pour enrichir leurs collections d'œuvres de maîtres. Je me souviens particulièrement d'une impressionnante Crucifixion de Lahire. Au fur et à mesure de la présentation par chacun d'eux des dossiers d'acquisitions, mon inquiétude grandit. Je ne joue pas dans la même catégorie avec ma petite boîte renfermant cent quatre-vingt-sept dessins et aquarelles de Boris Taslitzky réalisés sur de vilains petits bouts de papier des temps de guerre, seuls témoignages de cette période restant en sa possession.
Crainte infondée. Les exposés des conservateurs terminés, les présidents de la commission - Jean Jack Salles, vice-président du conseil régional chargé de la culture, et Blanche Grinbaum-Salgas, conseillère pour les musées à la direction régionale des Affaires culturelles d'Île-de-France - déclarent à une assistance stupéfaite que la totalité des aides de l'État et de la Région disponibles pour cette session sont attribuées au Musée de la Résistance nationale pour la sauvegarde et la valorisation dans une collection publique de ces œuvres uniques de Boris Taslitzky.
Puis, l'un et l'autre retracent, pour tous, le parcours de vie de l'homme, du citoyen résistant et déporté, du pédagogue, de l'artiste. Ils nous rappellent les conditions extraordinaires dans lesquelles ces dessins et aquarelles ont été réalisés, en premier lieu les cent six dessins et aquarelles créés au camp de concentration nazi de Buchenwald, et pour autant leurs immenses qualités plastiques et artistiques. Enfin, l'élu nous explique le devoir politique des institutions et des assemblées de la République de transmettre et de faire vivre dans la population l'héritage humaniste et démocratique légué par les résistants et les déportés : la vie et cette œuvre de Boris Taslitzky sont exemplaires à cet égard.
La surprise passée nulle contestation ne s'élève. Nous sortons tous grandis de cette réunion, fiers de ce rappel de nos missions de bâtisseurs d'un patrimoine national vivant, historique, artistique et civique, pour le profit de tous : une richesse humaine à faire fructifier par les générations futures.
Guy KRIVOPISSKO, professeur d'histoire et conservateur du Musée de la Résistance nationale
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