critical reception 1930-1969

Jean ROLLIN french flag

TRENTE DESSINS
DE BORIS TASLITZKY
À GENTILLY


L'éloge de Boris Taslitzky dessinateur n'est plus à faire. Peu d'artistes révèlent autant de maîtrise dans cette discipline que M. Ingres considérait comme « la probité de l'art ».

Boris, jamais son calepin ni son crayon soigneusement affûté ne le quittent. Qu'il se trouve dans une réunion ou une fête, qu'il voyage, toujours il dessine. C'est sa façon de participer aux spectacles de la vie et du monde.

Les trente dessins exposés au Cercle culturel du Chaperon Vert, à Gentilly, sont échelonnés sur plusieurs années. Ils montrent la variété de l'inspiration de Boris Taslitzky et l'originalité de son métier.

Ce sont d'abord des vues de l'atelier de la rue Campagne-Première, interprétées sous des angles différents : côté fenêtres, avec le jour tombé des arbres d'une cour provinciale, qui se répand en touches mouvantes sur le modèle et les objets écrits par une plumes raffinées à l'extrême ; puis, côté mur, des cartons, tentures et tableaux pressés les uns contre les autres, domaine réservé du peintre où l'ombre et la lumière s'affrontent dans des effets de clair-obscur, savamment médités.

Viennent ensuite des paysages, la campagne ou la mer, à Sanary, Bandol, Belle-Île, Le Pouldu, et quelque part en Yougoslavie (un nom compliqué).

La fraicheur de l'improvisation et l'intensité du plein air dans des pages d'une simplicité personnelle et grandiose. La synthèse du lyrisme et du style qui font la plénitude. Une sensibilité suraiguë qui va droit à l'essentiel, exaltant en maints portraits d'arbres et de rochers la singularité des choses dans ce qu'elles ont d'universel et d'unique.

Une œuvre forte et belle d'une pureté saisissante.

Jean ROLLIN

Jean ROLLIN, L'Humanité, 12 décembre 1961

Sa nouvelle exposition le prouve
Boris TASLITZKY
est un maître du dessin


Une exposition de dessins de Boris Taslitzky, cela compte. L'auteur de Cent onze dessins faits à Buchenwald, des illustrations de l'Âge mûr (poèmes de Guillevic) et de Retour d'Algérie, s'est acquis comme dessinateur une réputation que personne ne songerait à lui contester. Dans la préface rédigée naguère pour présenter l'un des recueils de dessins de cet artiste, George Besson s'est plu à souligner que « Boris Taslitzky, un des premiers jeunes artistes de ce temps, il faut le répéter, a réagi contre le relâchement qui fait planer sur l'art d'aujourd'hui la suspicion d'ignorance, d'impuissance, de propension à la facilité ». Depuis les dix-sept dessins exposés à la galerie du Roy, le visiteur appréciera qu'un tel hommage n'a rien d'excessif.

Les grands maîtres ont beaucoup dessiné. Tous ont attesté l'importance essentielle du dessin. Pourtant, combien d'artistes à l'heure actuelle possèdent dans leurs cartons des dessins qui soient des œuvres achevées ? Tombé en désuétude, le dessin n'est plus considéré comme art autonome par une minorité de créateurs assez conscients des lois de leur métier pour ne pas prendre à la légère le propos de M. Ingres : « Le dessin est la probité de l'art ».

À la vieille question de savoir s'il faut corriger la nature, Boris Taslitzky répondrait sans doute qu'il importe d'abord d'être vrai. Mais le souci de vérité dans l'interprétation de la nature, implique un choix préalable. C'est pourquoi Boris Taslitzky souligne le caractère d'un paysage en mettant l'accent sur tel élément propre à exalter l'ensemble de la composition. Il donnera à un arbre, par exemple, le contour soigneusement cherché, le feuillé frémissant que justifie la découverte de ce corps vivant dans la cour de l'ancien club des Cordeliers. Sur le mur situé au premier plan, les ombres portées des cheminées invisibles pour le spectateur, suggéreront le prolongement de la cité par delà les maisons à l'aspect provincial.

Dans ses panoramas du Pouldu, Boris Taslitzky allie la contemplation aiguë de certains objets qui l'ont particulièrement frappé et qui lui servent en quelque sorte de jalons pour la transcription de ses sentiments, à l'évaluation grandiose de la mer et des fonds aériens. Même si l'artiste tourne le dos à la grève, l'obsédante présence de l'océan demeure en lui ; elle se manifeste dans la crispation des végétaux, dans l'agitation d'un champ d'avoine qui fléchit sous le vent.

De l'un à l'autre de ses paysages tracés d'une plume exercée aux modulations des pleins, des déliés et des repentirs, la vigueur et la grâce se compensent. Point n'est besoin d'être spécialiste pour saisir ce que cette alchimie des formes doit à l'observation des nuances de la lumière et à l'étude attentive des plans échelonnés à travers l'espace. Plus subtiles, plus en profondeur encore apparaissent les scènes où l'émotion de l'artiste fait palpiter les mille objets de son atelier et joue avec le clair-obscur décomposé en une infinité de teintes qui vont des réserves du papier aux noirs les plus somptueux. Le blanc et le noir, couleurs suprêmes, disait le Tintoret, « parce que l'un donne de la force aux figures en approfondissant les ombres et l'autre complète le relief », suffisent à Boris Taslitzky, maître du dessin, pour concilier notre sensibilité et la projection de son univers intérieur.

Ainsi, quand il se réclame d'une tradition réaliste reniée allègrement par les émules de la non-figuration, Boris Taslitzky ne préconise pas pour autant je ne sais quel retour à des pratiques périmées : il cherche à s'exprimer d'une façon qui, tout en témoignant de la réalité de notre époque, prolonge l'héritage du passé. Comment admettre qu'une production artistique, jalonnée de chefs-d'œuvre pendant sept siècles sans interruption, puisse aboutir aux graffiti de M. Dubuffet ou aux voitures compressées de M. César ? Face à ce gâchis, une œuvre comme celle de Boris Taslitzky contribue à justifier notre foi dans la pérennité de l'art français.

Jean ROLLIN

Jean ROLLIN, L'Humanité,

Trente dessins
de B. TASLITZKY
exposés à Parme


Boris Taslitzky présente jusqu'au 30 avril une série de trente dessins, Galleria del Teatro, à Parme. Exécutées au cours des deux dernières années, ces œuvres ont pour thèmes des paysages de Bretagne et du Périgord, ainsi que des intérieurs d'atelier. Elles témoignent de la grande maîtrise de l'artiste, caractérisée notamment par l'acuité du graphisme, la science des valeurs, la justesse de l'observation, la profonde et chaleureuse humanité du sentiment.

Jean ROLLIN

Léon MOUSSINAC, Les Lettres françaises, n° 234, 18 novembre 1948,

Sur les voies d'un nouveau réalisme
avec Boris Taslitzky


En reprenant, ici, une rubrique consacrée aux arts plastiques, je ne fais que renouveler des réflexions, plusieurs fois interrompues par les circonstances, une discussion dans laquelle je ne suis intervenu que pour tenter d'apporter une appréciation méditée sur les tendances qui caractérisent l'art de notre temps, avec toute la prudence et la volonté qu'exigent dans ce domaine l'états des idées et le sens des œuvres, mais aussi avec la conscience claire de la nécessité de prendre parti, en toute responsabilité. Il ne s'agit pas d'une improvisation, mais d'une suite dans les idées, car voici juste quarante ans qu'encore lycéen je publiais mon premier article de critique à l'occasion des rétrospectives du Gréco et de Monticelli organisées au salon d'automne de 1908…

Puisqu'il s'agit de savoir si les voies d'un nouveau réalisme sont les seules qui puissent sauver, par exemple, la peinture vivante, je déclare tout de suite que je considère ces voies justes et que mes critiques ne s'appliqueront qu'à justifier cette prise de position.

En effet, me semble devenu dérisoire, en regard du drame de ce temps, le jeu des couleurs pour le jeu aussi bien que le jeu des mots ou celui des sons pour le jeu. Il convient de réhabiliter le sens de l'efficacité, disons même le sens de l'utilité de l'œuvre d'art dans une société, dont par les moyens de la personnalité individuelle de l'artiste, elle est en définitive à la fois l'expression et le produit, le sujet et l'objet.

Je n'aurais pas le ridicule de nier les talents, quel que soit ce que ces talents s'appliquent à faire, mais je tiens avant tout à envisager l'œuvre d'art dans les perspectives qu'elle offre aux hommes d'une société déterminée. On rencontre des erreurs sincères, mais le plus souvent des hypocrisies profitables, dangereuses, d'abord en soi et par la confusion qu'elles suscitent dans l'esprit de ceux qui ont toutes les raisons précisément de se prémunir contre une telle confusion.

Voici que l'exemple de Boris Taslitzky se présente : un jeune peintre s'engage résolument dans une voie qui conduit à un certain réalisme. À quel réalisme ? Le réalisme trouve en chaque époque ses formes, et qui reflètent les tendances sociales du moment, c'est-à-dire que le réalisme n'a aucun caractère absolu, qu'il évolue sans cesse avec originalité, et s'oppose le plus souvent à certaines formes de l'ésotérisme.

Or, Taslitzky n'est pas seul parmi les gens à ne pas avoir compris que ce qu'on appelle la peinture « abstraite » se trouve engagée dans une impasse, quel est déjà, si j'ose dire, au pied du mur. On n'a pas manqué de signaler, même de s'indigner parfois, au dernier Salon d'Automne le peintre Fougeron, sur le talent duquel une partie de la critique et des marchands avec tant « misé », prouva par le tableau il y présentait qu'il s'engageait, par des moyens différents certes, mais qu'il s'engageait résolument désormais sur les voies d'un nouveau réalisme. Horreur ! Quand on prononce ce mot devant certains c'est pour évoquer en eux que les plus basses œuvres d'un réalisme qu'on a raison de vouloir oublier parce qu'il a toujours été sans qualité. Comme s'il n'y avait pas une certaine continuité du réalisme, particulièrement dans l'histoire de la peinture française, d'un réalisme qui a toujours produit des chefs-d'œuvres pour notre admiration et notre enseignement. La recherche pour la recherche, où qu'elle se situe, est non pas le signe de la liberté, mais de la servitude. La recherche qui a ses fins et la seule efficace est la seule digne de l'art, comme de la science.

Ce nouveau réalisme. Il sera ce que les artistes le feront. Il se définira de lui-même dans le procès de la création des peintres et s'accomplira quand le temps sera venu pour lui de s'accomplir. Il faut accepter certaines évidences qui font sourire les malins qui placent les jeux de l'esprit au-dessus des actes de l'homme. Il n'y a plus de prince pour ses jeux, il y a de vastes communautés sociales et nationales dont les besoins déjà s'affirment et qu'il faudra de plus en plus et de mieux en mieux satisfaire. Ici l'art, un art authentique, retrouvera les siens, de l'homme à l'artiste et inversement.

Boris Taslitzky et donc de ceux qui ont pris conscience de cette responsabilité devant leur temps. C'est pourquoi son œuvre, qui s'élabore et s'affirme peu à peu, révèle une démarche, une probité d'esprit et de talent qui mérite notre attention. Le peintre a compris qu'en toute œuvre le sentiment de réalité est indispensable au plaisir, à l'émotion, à l'exaltation que l'homme recherche et trouve dans la transfiguration que l'artiste propose lui-même de la nature. La mesure et la qualité personnelles de cette transfiguration en commandent la réussite ou l'échec. La maîtrise atteinte et le talent en font seulement la preuve. On ne saurait y parvenir du coup surtout quand durant tant d'années on a oublié d'apprendre aux peintres à atteindre par réaction naturelle mais excessive contre un métier qui dérivait vers un académisme dérisoire et vulgaire dépourvu de toute vertu. On s'est donc, par crainte du « fini », trop longtemps arrêté à l'étape de la pochade ou de l'esquisse, étape souvent charmante et séduisante. Mais on s'est tellement bien appliqué à trouver entre deux termes le compromis d'une réussite plus ou moins facile qu'on a oublié le sens et le signe profond de toute œuvre d'art.

C'est contre cet abandon inconsidéré de certaines valeurs permanentes que nous assistons à des « retours » dont les œuvres aujourd'hui exposées de Boris Taslitzky nous donnent l'exemple.

Le grand problème, pour tout peintre, c'est de vaincre, par des moyens personnels la difficulté d'accorder la couleur au dessin une fois le sujet du tableau retenu. Et à ce propos, je ne veux pas ressusciter la question du retour au sujet pourtant de plus en plus posée et ici affirmée, mais je dirais que la qualité, la connaissance, la sûreté du dessin est indispensable et préalable au travail de peindre et que les dessins de Boris Taslitzky prouvent déjà sa maîtrise. (Portrait du poète Guillevic, par exemple, croquis de marins et de mineurs). Et que s'il éprouve encore des difficultés à accorder la couleur à son dessin, ces difficultés il est en voie de les vaincre.

Boris Taslitzky possède un sens remarquable de la composition car je n'en veux retenir pour preuve que cette « commande » qu'il s'est fait à lui-même d'un immense panneau horizontal représentant un meeting de mineurs du Nord, où l'unité est atteinte où la couleur s'accorde heureusement au dessin exalte le sujet. Mais un détail d'exécutions à grandeur de ce projet prouve que l'unité est le contraire de l'uniformité et révèle la difficulté du passage de l'esquisse au tableau, et qu'un parti de couleur n'est pas un parti coûte que coûte, il est trop d'efforts à paraître… Dans ses tentatives, le contenu est plus exprimé par le choix du sujet que par la chose peinte.

Mais l'ambition du peintre est assez haute pour qu'on admire la volonté d'une étude qui témoigne pour sa réussite, c'est-à-dire pour sa résonance sociale. Car il s'agit de retrouver et de découvrir ce qui demeure transmissible de l'esprit de la technique d'émettre - des maîtres vivants ou non - pour atteindre à ce réalisme nouveau, est déjà attendu, qui répondra aux besoins toujours plus exigeants d'un nombre toujours plus grand d'hommes, de ces hommes qui font l'histoire.

Léon MOUSSINAC

Jean ROLLIN, Journaux de province, 27 janvier 1950

Boris TASLITZKY
peintre témoin des luttes
et des espoirs
des hommes de notre temps


Dans une vieille maison de la rue de Campagne-Première, à gauche après le porche, l'atelier de Boris Taslitzky donne de plain-pied sur une cour ouverte aux rumeurs de Paris. Est-ce parce qu'on pénètre dans cet atelier sans transition d'escalier ni de couloir, qu'aussitôt on a le souffle coupé par la vaste composition à laquelle le peintre travaille actuellement : « La mort de Danièle Casanova » ? Danièle, les mains fermées sur un simple bouquet, suprême hommage des déportés, blanche et droite se détache au milieu de ses compagnes éplorées. L'œuvre n'en est qu'à ses débuts, mais autour du chevalet, de nombreux projets et études fournissent une idée assez complète de l'ensemble futur. Dans le décor sinistre du Revier (infirmerie) d'Auschwitz, des femmes en haillons préparent les obsèques de la meilleure d'entre elles, Danièle, leur sœur incomparable. Le chagrin ne saurait faire oublier l'idéal au nom duquel Danièle est morte. Et le jour même, en imposant aux bourreaux le spectacle de funérailles solennelles, fortifiées par l'exemple de Danièle, ces esclaves prépareront de nouveaux combats.

Rescapé de Buchenwald, seul d'entre les artistes français sans doute, Boris Taslitzky était capable, à partir d'un tel sujet, Boris Taslitzky était capable, à partir d'un tel sujet, d'entreprendre une œuvre de valeur démonstrative aussi puissante. C'est qui notait là-bas sur son carnet de route : « Pas d'art valable si chaque trait n'est pas une affirmation de solidarité humaine ».

Cette solidarité, Taslitzky l'a éprouvé aux heures les plus sombres, il l'a pratiquée, elle a permis de vivre. Il l'a célébrée à chaque page de son magnifique album des 111 dessins de Buchenwald qui témoignera pour l'avenir des crimes de notre temps au même titre que les « misères de la guerre » de Jacques Callot, imagier des guerres de religion et précurseur génial de Taslitzky. Dès son retour d'Allemagne, de toute la vigueur d'un talent mûri par les épreuves, notre ami s'est employé à développer cette autre affirmation de son carnet de route : « J'ai assez porté de chaines et de menottes pour avoir le droit de parler de liberté ».

Liberté, pierre de touche de la vie et de l'œuvre de Taslitzky. Né en 1911 à Paris, il se dégage assez tôt de l'enseignement académique des « Beaux-Arts » pour exposer dès 1935, à la Maison de Culture : « La mort d'Henri Villemain », gosse de Paris assassiné pendant les émeutes fascistes de février 1934. En 1936, il présente « les jeudis des enfants d'Ivry » que le regretté philosophe Henri Mougin décrivait ainsi : « Ils sont dans une grande cour… tournant comme une monumentale hélice entre les murs rouges, enfermés, entrainés dans leur véritable joie. Mais aujourd'hui, que sont devenus les enfants d'Ivry ? « Ce n'est pas tous les jours jeudi ».

Les enfants d'Ivry, Taslitzky les a retrouvé dans cette pitoyable armée de la « drôle de guerre », trahie par ses généraux. Fait prisonnier, il s'évade, participe à l'action clandestine. Arrêté dans le Lot en 1941, il passe deux ans à la prison centrale de Riom. De là, il est transféré au camp d'internement de St-Sulpice où il peint sept gigantesques panneaux qui sont encore un hymne à la Liberté. Malheureusement, ces richesses nationales, reliques de la résistance intellectuelle de la France aux théories odieuses de Rosenberg sur la culture, vous les chercheriez en vain dans l'un quelconque de nos grands musées : par suite de l'incurie administrative, les panneaux de Taslitzky achèvent de pourrir en vrac dans une salle close du Musée des Augustins à Toulouse.

Lors du dernier salon d'automne, les visiteurs de la salle N°1 s'arrêtaient, comme fascinés, devant la toile de Taslitzky : « Le four électrique ». Ce métal en fusion, entendait-on, comme c'est beau, comme c'est vrai, quel prodigieux flamboiement ! ». Maître de sa palette qu'il utilise avec un brio admirable. Taslitzky ne tombe jamais dans le défaut qui consiste, chez certains peintres, à étaler les couleurs pour l'unique délectation des rares esprits. De même son dessin ne s'égare jamais en volutes inutiles, mais au contraire, serre de près le sujet afin de lui donner le maximum de précision, d'intensité, de puissance émotive, Taslitzky sait équilibrer un tableau de telle façon que tous les éléments concourent judicieusement à l'expression parfaite du sujet traité.

Cette fidélité au réel procède de la volonté bien arrêtée de se rendre accessible à un très large public. Proposant en exemple le sacrifice des héros, la lutte du peuple pour accéder enfin à une vie meilleure, Taslitzky, peintre militant, entend prouver et convaincre.

Du « Mur des Fédérés », l'une de ses premières œuvres importantes à la « Mort de Danièle Casanova », quinze ans se sont écoulés, quinze dures années dont Taslitzky retrace les épisodes les plus tragiques en proclamant bien haut sa confiance en la victoire des idées généreuses qu'il défend.

Faut-il ajouter qu'une telle œuvre, si humaine, a recueilli l'adhésion enthousiaste des travailleurs auxquels son auteur l'a fraternellement dédiée ? S'y rallient aussi ceux qui pensent, comme Taslitzky, l'a dit lui-même, que « tous les mots sont dans la chanson, et toutes les chansons dans les mots journaliers ».

Jean ROLLIN

André WURMSER, L'Humanité, 1959

BEAUX-ARTS ET BELLES LETTRES

On n'avait pas attendu Tu parles pour savoir que Boris Taslitzky a un joli brin de plume à son pinceau, et ceux qui ont l'avantage de connaître non seulement la peinture, mais le peintre ne seront pas surpris par cette honnêteté farouche jusqu'à la puérilité, cette noblesse sans apprêt, cette modestie incurable et cette tendresse un peu découragée.

Tu parles est un livre de souvenirs d'enfance et de jeunesse, comme il en est tant, et il n'en est pas tellement qui aient cet accent, fait de gouaille de Titi parisien et de bonhomie, de colère et d'amour. L'auteur écrit en exergue : « Ce n'est pas parce que la clef est sur la porte qu'il faut vous dispenser de frapper avant d'entrer. »

À la vérité, on entre chez l'auteur sans frapper, non pas parce que la clef est sur la porte, mais parce qu'il vous ouvre lui-même, parce qu'il vous donne lui-même ses clefs. On entre chez lui, et c'est comme à cet âge dont il rapporte les délires, les enthousiasmes et les malheurs quand un ami furieusement aimé — depuis 15 jours et pour toute la vie — vous reçoit pour la première fois. On regarde le décor, les meubles, les photographies sur l'étagère. On leur demande ce qu'on ignore encore de l'ami. On n'en est dérouté, un peu jaloux, « Maman, je te présente mon ami ». « Madame… »

La différence entre l'expérience d'autrefois et le livre d'aujourd'hui, c'est que la mer, les portraits, l'étagère, on les regarde cette fois avec des yeux de Boris Taslitzky. Aucune erreur d'interprétation possible. On comprend leur rôle, leur signification, comment ils ont concouru à la formation de l'homme — la photographie du père mort à la guerre, le lit dans le corridor et la pauvreté, la mère surtout, la mère ouvrière, qui ne sait presque rien et devine presque tous, et qui de l'homme mûr parle avec un amour filial constant, si déférent, si reconnaissant, si juste, si profond, si émouvant que tout à la fois il avive en nous la douleur la plus inconsolable et la moins partagée — et fait songer aux plus belles pages de Charles Louis Philippe. Il n'est pas du tout question, dans ce livre, des convictions et de la philosophie de Boris Taslitzky, mais on comprend comment et pourquoi il devint ce qu'il est : un peintre — est un homme.

Un peintre — car ce ne sont pas seulement souvenir d'enfance et de jeunesse que Tu parles mais aussi le récit des années d'apprentissage, les premiers pas, les premiers faux-pas, dans la carrière souhaitée — avec tout ce que comporte de mauvais embranchement, de doutes, de temps perdu, de regrets, de tâtonnements, la faute d'être né dans un milieu humble — pauvre. Il n'y a pas d'amnistie pour un délit pareil : on en traîne le souvenir toute sa vie ; la cicatrice reste douloureuse, même après des épreuves tout autres… Mais aussi que ne doit-on pas à cette irremplaçable expérience ! Elle vous enseigne à mépriser, non la culture, mais le superbe mépris des Pharisiens pour ceux qu'ils privent de culture : on admirera que Boris Taslitzky, répétant une naïve et incompréhensive conversation d'ouvriers sur la peinture, n'en tienne les conclusions ni pour sottes, ni pour parole d'évangile, sachant bien que ceux à qui il incombe de transformer le monde transformeront, du même coup, et l'art, et leur propre goût. Elle vous enseigne — cette expérience — la haine sainte : « Ma haine contre ces gens, elle vient de loin, elle est aussi profonde que les yeux de maman, elle est sans fond sinon celui des âges où sont enfouis des millions de millions de spoliés ». Elle ne vous apprend, hélas ! ni écrire ni à peindre, mais on reconnaîtra un jour que si l'on écrit ainsi, et si l'on passe cela, c'est encore à cause d'elle (« La peinture est une telle confession qu'elle ne peut tromper personne »).

Dans son style qui a l'air à la va comme ça vient, truculent et cocasse, brillant et incorrect (selon les règlements en usage) et plus avant qu'il ne semble, dans son style parlé (« Le musicien s'amena… ») et rapide (« la morale d'un monde qui en parle sans en avoir ») le peintre transpose tous les modes de son art — le paysage, le portrait, le tableau d'histoire. Avec peu de penchant, excusez-le, pour la nature morte, déplorablement morte.

On ne s'étonnera pas que les portraits soient particulièrement réussis : portrait de la mère de l'artiste — il en est beaucoup — portrait d'intellectuels slaves (« il faisait suer l'âme russe à chaque touche du piano, l'âme russe qu'il disait ») portrait d'un instituteur : « c'était un homme très bon qui essayait d'être juste, qui ne méprisait personne et ne s'aplatissait pas devant ses supérieurs. Il était très petit et en souffrait. C'était tout simplement un de ces milliers de héros quotidiens qui font bien leur métier, qu'il aime sans bruit, que nul ne songe à prendre pour exemple et qui sont la richesse véritable d'un pays », portraits de femmes, de perruches, de rapins, de Monparnassiens, d'adolescents, d'enfants.

C'est aussi toute une époque qui revit sous la plume du peintre d'histoire, la guerre, l'après-guerre (la première), la crise, et les communistes qui, ça on ne peut pas le nier, veulent brûler le Louvre — toute une époque vue par les yeux d'un enfant, d'un adolescent, d'un tout jeune homme. (Avec, jeune homme, une erreur affreuse : les laiteries Maggi n'avaient pas mauvaise presse en 1918 mais en 1914 : c'est cette année-ci et non celle-là que notre patriotisme explosant à grand jet de pierre, «il y eut des bris de vitrines»).

Mais, justement parce que le livre veut nous transmettre une expérience, c'est le petit ou le jeune Igor qui le plus souvent occupe toute la toile. L'adolescence, âge malheureux, maladroit et fébrile des découvertes multipliées — « cela en faisait, tout ça, des premières fois » — est cernée d'une phrase, juste et courte : « J'ai deux horreurs, celle que l'on s'occupe de moi, celle que l'on ne s'occupe pas de moi. » L'enfance, la merveilleuse enfance revit par l'art souriant, et ce comique si vrai, si frais, que cache la voix de basse et le sourire un peu désabusé de Boris Taslitzky : « le spectacle commençait avec les actualités. Je me demandais bien qui ça pouvait intéresser. M. Mitterrand inaugurait une foire, le maréchal Pétain décorait des anciens combattants civils. Il leur donnait des coups de sabre sur les épaules, et puis ils s'embrassaient. « À leurs âges ». Le récit passe insensiblement du temps de la narration aux phrases mêmes de l'enfant : « Enfin, le vrai cinéma… Sur son maigre bidet, le cadet de Gascogne arrive à l'auberge de Meung, le comte de Rochefort, l'âme damnée du cardinal, se moque du cheval. « Tel rit du cheval qui n'oserait rire du maître ». Alors, mon vieux, le comte de Rochefort, il sort son épée et vlan! D'Artagnan aussi. Mais les gardes du cardinal s'amènent ; ils étaient bien vingt. D'Artagnan formidable, tu sais, pan et pan, il en étale des tas, tiens, comme ça ! Non, tiens pas ta règle comme un cierge. »

Cependant, c'est le récit des années d'apprentissage qui constitue l'apport le plus personnel de ce livre charmant. Tu parles ? Non : tu dessines. Tu seras peintre, toi aussi. Garde-toi à droite : l'argent qu'il faut bien gagner, par quelque travail absurde que ce soit, les toiles qu'il faut bien acheter, les « seconds » métiers, comme ils disent, pudiquement. Quand ils s'abaissent à ces considérations sordides. Forme, masse, volume, palettes, facture. Facture ? Tu parles ! Garde-toi à gauche : le métier — le métier de peintre cette fois — qu'il faut apprendre, les préjugés qu'il faut combattre, ceux des autres (ça n'est pas le plus grave) et ce dont on a hérité, les routines qu'il faut briser, et en fin de compte : tout concilier, la pensée et l'expression, l'enseignement et la personnalité, la tradition et son propre temps.

Si de chaque profession quelqu'un savait parler comme Boris Taslitzky de la peinture, quel renouveau d'intérêt ce serait pour la littérature ! « Comment je devins qui je suis » — un beau titre pour une collection imaginaire ! Elle a ses classiques, Gorki, en tête, et c'est bien autre chose qu'une littérature de confessionnal.

Mais à tant de qualités de cœur et d'esprits qui font aimer l'auteur autant que le livre, il me faut ajouter une vertu fort rare : Boris Taslitzky sait parler peinture dans un langage miraculeusement compréhensible.

Ce n'est pas sa moindre originalité.

André WURMSER

Pierre GAMARRA, L'Humanité, 1959

UN PEINTRE DEVIENT ROMANCIER
« Tu parles »
de Boris Taslitzky


Il nous est né, ces temps-ci, un écrivain. Ce n'est pas un événement tellement banal, quoi qu'on puisse penser. Et d'abord, ma formule mauvaise : un écrivain, un romancier, un raconteur d'histoire ne naît pas, ne surgit pas comme par enchantement. Il se forme avec lenteur, patience, difficultés… Cet écrivain, c'est un peintre que vous connaissez et que vous admirez : Boris Taslitzky. Ce n'est plus un tout jeune homme, c'est, comme on dit, un homme « fait », un homme qui a vécu déjà, souffert, aimé, lutter et qui éprouve le besoin à ce moment de sa maturité de regarder la courbe de sa vie, de ressusciter le temps de son enfance, de sa jeunesse, de sa formation. Alors, il laisse le pinceau et prend la plume. Il abandonne un instant le combat de la main avec la ligne ou la couleur pour cet autre combat de la pensée et des mots.

Il est vrai que le héros de ce récit, de cette « chronique », ne s'appelle pas Boris mais Igor… En vérité, l'auteur donne toujours beaucoup à ses personnages. Et dans « Tu parles… (1) puisque tel est le titre de ce livre et il correspond bien à la savoureuse linéarité du récit, les personnages sont visiblement nourris de la chair et du sang de l'auteur. On sent qui les a tirés tous vivants, tout frémissants de ses souvenirs, de ses peines et de ses joies, de son espérance. Et avec eux, toute une époque est ressuscitée, ces temps de l'immédiat avant-guerre (de 1914), de la guerre et de l'après-guerre dont nous avons l'exacte sensation grâce à mille détails de mœurs, de costume, de langage.

« Lorsque mes parents vinrent habiter aux 168, de l'avenue de Choisy, ils y furent fort mal accueillis. Ils ne furent longtemps que les Russes du troisième. M. Benoît (l'inénarrable mari de la concierge dont je vous recommande le portrait !) se plaisait à rabrouer ma mère dont on ne comprenait pas le charabia. »

« Ma naissance transforma ses rapports difficiles. Mon père cessa d'être poète pour devenir ouvrier mécanicien (…) M. Benoît jugea qu'il devenait sérieux puisqu'il se mettait au boulot pour nourrir son gosse. Le russe émigré politique lui devint peu à peu sympathique parce qu'il était devenu ouvrier. Il glissait sur le fait que le russe avait été ingénieur dans son pays et lorsque mon père fut promu chef d'équipe, M. Benoît lui paya le jus. »

Le père tué à la guerre, la mère demeure seule avec l'enfant. Ce sont les années d'école, les années d'apprentissage aux divers sens du mot, la découverte de la peinture… Mais je n'ai aucunement l'intention de vous raconter cette histoire (ou plutôt ces histoires). Les résumer en dix lignes ne servirait de rien : ce serait en détruire la couleur, la verve et la richesse. Je vous dirai seulement que ce livre est un précieux document d'atmosphère historique et psychologique, qui nous fait revivre, vivre dans des années à la fois proches et lointaines où notre monde d'aujourd'hui naissait avec son bien et sont mal.

Un document ? Que le mot ne vous effraie pas. Ce récit n'a rien d'austère ou de desséché. Il vous passionnera et il restera dans votre mémoire justement par son ton bien personnel, sa voix amicale directe, sa verdeur bon enfant, la façon dont ce jeune homme découvre le monde et nous le fait découvrir. Rien est guindé ici mais sans débraillé, sans vulgarité. La voix s'assourdit parfois, se teinte d'émotion et de tendresse. L'amour filial, la naissance des amours adolescentes y sont dits dans des pages très belles. L'auteur a mis ici tout son cœur et, je vous l'assure, ma phrase n'est pas un cliché. Et comme ce peintre aime son métier et sait nous en faire voir sans vain charabia les difficultés et les lumières !

Il y a des auteurs artificieux et des livres artificiels : cette œuvre, voyez-vous, a la douceur et la chaleur de la pure laine. On a envie de répondre au titre à la façon de la bande qui entoure le volume : « Cause toujours, tu m'intéresses. »

Donc, le 11 avril prochain, lors de votre visite au Vel' d'Hiv', notez d'aller serrer la main de Boris Taslitzky et de lui faire dédicacer « Tu parles ». Vos emplettes de la journée commenceront bien.

Pierre GAMARRA
(1) Les Éditeurs Français Réunis

G.R., Le Dauphiné libéré, 26 mai 1959

Pinceau triste et crayon savant
de Boris TASLITZKY
à Peuple et Culture


Si les œuvres exposées rue de la Paix ne sont pas celles que les organisateurs de P.E.C. à Annecy attendaient de Taslitzky, elles n'en constituent pas moins un témoignage des dons de l'artiste comme de son engagement social. Situer ainsi ce peintre qui porte en lui, jusqu'à en imprégner ses compositions, le souvenir des souffrances indicibles des camps de déportés, c'est dire que son style et son triomphe sont surtout dans ses fresques retraçant les tumultes de la perversité et de la colère des hommes. Une reproduction de petit format donne une idée du genre par l'exagération de la fougue et de la fureur des personnages dans leurs gestes comme dans leur physionomie.

Dans une facture classique, et sous un coloris qui convient à toutes les tristesses, portraits, intérieurs et natures mortes soulignent la prédominance de la sûreté du dessin. Et si un nu ou le luisant d'un fruit s'offre parfois au regard, il ne suffit jamais à réchauffer tant soit peu l'atmosphère et le décor. Voyons maintenant ce portrait d'homme qui tient dans un carré. La franchise dans l'expression et dans l'attitude vise à l'effet immédiat dans les tonalités qui s'allient et s'accordent à la misère systématique.

Mais ce sont surtout les dessins de Taslitzky qui retiennent l'attention. Un portrait d'une Elsa Triolet jeune (lithographie) montre déjà par la façon de traiter le visage dans ses proportions comme dans son contour, une influence germanique. Celle-ci se retrouve dans toute une série de dessins qui séduisent par la finesse et la sensibilité du trait, comme par le procédé par petites touches. Le détail, la vérité scrupuleuse et originale peuvent se saisir aussi bien dans les plis d'une étoffe que sur les visages dans la forme des mains qui ont une extraordinaire force d'expression. Ces dessins rappellent ceux d'Albert Dürer dans ses préférences marquées pour l'équilibre de la composition et pour les motifs qui admettent la ténuité d'un gréement ou d'un branchage, comme le « rendu » d'une muraille, d'une construction. Le visiteur ne s'étonnera donc pas de voir un livre comme « L'âge mûr » illustré par Taslitzky avec toute la maîtrise d'un remarquable dessinateur.

M. Fortier, professeur, que nous avons rencontré dans cette galerie d'exposition, trouve que le détail anecdotique gâte souvent l'effet de certaines de ses illustrations. Par contre, élargissant d'un coup l'horizon restreint que notre peintre ouvre aux Annéciens, M. Fortier, devant la reproduction d'une œuvre d'envergure, met l'accent sur le rythme de meeting d'une des grandes toiles de Taslitzky où la composition qui utilise des cônes de guirlandes arrive, par une idée vraiment heureuse, à rejoindre l'abstrait.

Il y aurait évidemment à dire beaucoup sur cet artiste qui, parfois, fait songer à Hals ou à Delacroix.

Mais sont suffisamment éloquents de ses peintures qui s'attristent et s'affligent dans l'univers d'un héros de Dostoïevsky.

G.R.

Jean ROLLIN, L'Humanité, 15 novembre 1960

BORIS TASLITZKY
et le lyrisme de notre temps


En quarante tableaux, Boris Taslitzky rend hommage à Vélasquez et à Titien, aux splendeurs du monde réel, à la vie (1). La qualité des œuvres qui composent cet ensemble suffirait à prouver la valeur d'un artiste capable d'affronter les sujets les plus divers. Mais n'apprécions-nous pas depuis longtemps les ambitions créatrices de ce frère spirituel de Francis Grüber ? Son œuvre se situe dans une tradition qui est celle de Géricault, de Delacroix et d'Albert Dürer.

On ne l'estime pas à sa vraie mesure sans avoir feuilleté les Cent onze dessins faits à Buchenwald, sans avoir vu le terrible tableau de l'enfer concentrationnaire qu'est Le Petit Camp, enlevé des cimaises du musée d'Art moderne pour ne pas heurter la sensibilité de nos voisins ouest-allemands. Il faut connaître aussi la composition dédiée à la mémoire de Danièle Casanova et se souvenir des images d'Algérie 52 qui furent présentées à la Galerie André Weil.

L'exposition de la Galerie Bénézit ne fait pas appel aux dons épiques du peintre. Peut-on affirmer cependant que sans l'ampleur de conception qui constitue l'une des faces les plus singulières de son talent, Boris Taslitzky serait en état de produire les œuvres généreuses qu'il nous offre aujourd'hui ? S'il se réfère à Vélasquez et à Titien, ce n'est pas pour vanter les mérites d'Ésope, des Fileuses ou d'une Vénus dont les perfections ne gagneraient rien à être imitées, mais pour le plaisir d'évoquer des chefs-d'œuvre. Dans une étourdissante chronique (2), Igor, alias, chante les dieux de sa jeunesse : Poussin, Chardin, Corot. « L'amour, proclamait Léonard de Vinci, est d'autant plus ardent que la connaissance est parfaite ». Une connaissance peu commune des maîtres du passé nourrit l'amour de Boris Taslitzky pour la réalité.

La réalité commence, ici, par un voyage autour de l'atelier de la rue Campagne-Première, miroir de l'univers intellectuel et moral de l'artiste. Filtrée par le feuillage des arbres, la lumière pénètre à travers les baies, se glisse le long des murs tapissés de tableaux, de gravures anciennes. Les meubles et les objets surgissent lentement, car il vaut la peine de contempler leurs images fidèles. Bouquets de pinceaux et faisceaux de crayons dans des vases, pipes de terre ou de bruyère, piles de livres et de revues entassés dans des rayons de bois blanc. Un petit cadre rococo sur une étagère, des plumes de couleurs mises en avant comme un trophée, soulignent le côté un peu baroque de l'atmosphère. Un poète ventru, auquel il ne manque pas grand-chose pour ressembler à certaines créatures de Jérôme Bosch, s'enorgueillit d'un pare-feu insolite, les grilles du balcon de Berlioz quand le musicien habitait Montmartre.

Boris Taslitzky considère la nature morte, le paysage et la figure comme parties intégrantes de la peinture d'histoire (3). Toute œuvre d'art s'inscrit dans le mouvement général de l'humanité. Confessions des pensées et de sentiments de son auteur, elle est en même temps, jugement, affaire de conscience, avec ce que cela comporte de responsabilité et de tourments. Arrêtons-nous devant les portraits qui constituent l'un des attraits de l'exposition. Du marionnettiste Jacques Chenais à l'actrice Madeleine Ozeray, interprète d'Ondine, combien de personnalités sont venues poser dans l'atelier de la rue Campagne ? Combien de gens du peuple, de travailleurs, de midinettes ? Tous sont ressemblants au sens que Latour entendait quand il voulait peindre un personnage qui fût « de son état de la tête jusqu'aux pieds ». Boris Taslitzky assure qu'il collectionne les regards des hommes comme d'autres des papillons. Plus tard, la collection des regards recueillis par ce peintre sera indispensable à la compréhension de notre époque.

C'est dans les paysages que le tempérament lyrique de Boris Taslitzky s'accomplit avec le plus de sérénité et, dirait-on, se délivre. Dans la cour aux murs gris de la rue Campagne, des bambins sur un tas de sable semblent un écho apaisé des Jeudis des enfants d'Ivry (1937). Sur les pelouses ensoleillées du parc de Sceaux, des couples en fêtes s'abandonnent à la joie du dimanche. À Épinay, l'explosion des essences de printemps annonce le départ des citadins vers la nature.

Savourée un peu à la sauvette au cours d'un week-end, la fraîcheur des bords de la Marne marque un jalon sur la route qui conduit vers l'évasion tant attendue, la Bretagne, la Vendée, le Pays Basque, la Grande Bleue. Plénitude du repos, vacances !... Ailleurs, sur les hauteurs scintillantes d'un décor de montagnes albanaises, un chevrier joue du pipeau comme au temps d'Homère et réinvente la musique — musique de la liberté, la plus douce au cœur des hommes.

(1) Galerie Bénézit, 29, rue de Seine, Paris (XVIe), du 15 au 30 novembre. Entrée libre.
(2) Tu parles, Éditeurs Français Réunis, 5,50 NF.
(3) Interview publiée dans Avenir, revue des lycéens, collégiens et normaliens, éditée par l'U.J.C.F.

Jean ROLLIN

Mireille BORIS, L'Humanité, 2 avril 1962

Le peintre Boris TASLITZKY publie son second livre aux Éditeurs Français Réunis
TAMBOUR BATTANT
(DES HISTOIRES DE GUERRE ET D'AMITIÉ)


Feuilletons l'album de Boris Taslitzky : 1934, 35, 36 ; des toiles décrivant la misère, l'asile de nuit, la faim, suivies d'autres toiles peignant les grands défilés unitaires au Mur des Fédérés, les grèves. Bientôt, viennent les prisons, telles qu'il les imagine, et puis… telles qu'il les connaît ; l'armée de 39- 40, les déportés.

Puis la paix : un enfant dort près de sa mère. Sa vie personnelle, dans son œuvre, est toujours fondue, mêlé à la vie des autres.

Dans son atelier, une très grande toile : sur un âne, un blessé soutenu par deux hommes est guidé par un enfant. La main du blessé, visage renversé, pend et souffre. Boris Taslitzky a travaillé ce tableau en pensant à l'Algérie. Un peu plus loin, trois portraits, à la vérité de plus en plus approchée, de la fille du peintre ; un poêle en forme de tonnelet, dont on peut voir en face le « portrait » : « Tout ce que j'ai pu lui raconter à celui-là », nous dit le peintre.

Nous sommes venus voir Boris Taslitzky pour le faire parler de ce recueil de nouvelles : « Tambour battant » qu'il vient de publier (1) dont la qualité littéraire double une grande qualité de cœur. Nouvelles écrites, il y a deux ans, quand, au cours d'un voyage en Allemagne, l'auteur est retourné près de Buchenwald.

Tambour battant comporte, en effet, trois parties : la première faite de récits liés à la drôle de guerre ; la seconde au camp de Buchenwald ; la troisième, à la vie qu'il mène actuellement. Mais c'est par Buchenwald qu'il a commencé.

« Sur cette Babel où régnaient les SS d'autres ordres souterrains, secrets, mais efficaces, se dessinaient ; d'autres disciplines aussi, qu'il fallait unifier et à quoi s'employait la direction internationale des prisonniers, menant un héroïque combat auquel nous allions nous inclure, écrit-il. C'est ce qu'à mots couverts nous expliqua Robert, le secrétaire français, qui se mouvait dans cette cour des miracles comme un marquis dans une serre. » — J'étais dans l'avant-dernier convoi pour Buchenwald ; j'ai aussitôt fait parti de l'organisation politique : j'étais chargé de relever le moral des troupes.
La vie des souvenirs… Pourquoi affleurent-ils soudain, s'intègrent-t-ils dans la réalité quotidienne, sans à-propos définissable, s'installent-ils en moi, s'amplifient-ils jusqu'à prendre tant de place qu'ils se superposent au monde réel… Je ne connais qu'un moyen de faire taire l'intrusion de l'Histoire dans ce moment destiné à prendre sa place, à s'inclure dans l'éternelle chaîne des événements que les hommes créent, ce moyen, c'est de jeter mon souvenir sur le papier ou sur la toile, de m'en débarrasser au point de ne plus le reconnaître, d'en faire un portrait qui, à force de ressemblance, se mue en création, de le donner à d'autres qui croiront tel que qui, à la fois, fut tel et différent… »


Pour Boris Taslitzky, comme pour nos classiques, et c'est profondément en lui, « le moi est haïssable » ; mais il est fait et a vécu de telle sorte qu'il parle des autres en parlant de lui et, réciproquement. En 1940, il combattait sur la ligne Maginot ; et ce fut bientôt la débâcle :
— J'ai voulu montrer dans Tambour battant, pourquoi la France s'est ouverte en quarante jours. Nous, soldats, nous voulions nous battre.

Ce qu'il y a de pire que les longs convois de réfugiés civils sur lesquelles s'exerce la pitié, c'est un corps de troupe en panique, fuyant avec son commandement, jetant ses armes, cet agglomérat sans contour d'homme trahis qui ne peuvent plus ni commander, ni obéir, et se sentent salis, déshonorés, mais se refusent à être abandonnés dans l'ignominie qui les enserre, et appelle à la solidarité de la fuite. »


Est-ce triste, Tambour battant ? Non, malgré toute la tristesse du monde que recèle ce livre, Tambour battant n'est pas triste. Parce que Taslitzky a de l'humour (et c'est lié à une sorte de sagesse modeste) ; et parce qu'il aime les gens. Il ne se promène jamais, depuis des années, sans un carnet à croquis sur lequel il dessine furtivement des visages, de rencontres ou de connaissance. Visages qu'il « enregistre », sur lesquels il s'appesantit — dont le nombre et le travail ont accru, affiner chez lui le sens de l'humain — C'est dire toute la vie et toute la tendresse aussi, des portraits de soldats, de détenus, d'amis, qu'il fait dans son livre. Il les connaît par cœur il les a pris en lui, dans un regard.

Peut-être était-ce lorsque, étant prisonnier, Boris Taslitzky dessinait ses camarades pour envoyer cela aux familles et les rassurer sur leur vie, qu'il prit conscience de l'importance immense du portrait.

(1) Aux Éditeurs Français Réunis, qui ont déjà publié son premier livre : Tu parles…

Recueilli par Mireille BORIS

André STIL, 1963

Le dimanche et la semaine

L'An dernier, à l'occasion d'un voyage en République Démocratique Allemande, j'ai passé une inoubliable journée avec un ami, un homme comme notre temps en fait peu. Il est peintre. Il fut déporté. La journée se passait entre la visite du camp de Büchenwald et celle du musée de Dresde. À la sortie du camp, dans la forêt, il m'a dit, avec un geste des doigts qui était déjà un dessin : « C'est ici que j'ai rencontré la plus belle femme du monde. » Et il m'a raconté l'histoire.

À cette émotion, et à toute l'émotion de cette journée, s'est ajoutée depuis celle de savoir que cela fut le commencement d'un livre : Tambour battant (1), de Boris Taslitzky, recueil de récits, dont La plus belle femme du monde est le plus court sans doute mais sans doute le plus important.

L'art de l'écriture ici ne se sépare pas de l'art d'être homme. Tambour battant, c'est la morale en marchant, sans fanfare et surtout pas au pas, l'indignation sans hésitation ou la douceur naturelle d'un homme qui ne rougit pas d'un « je » tout plein des autres, plus occupé d'eux que de lui-même, pour les aimer en acte, les admirer et souffrir avec eux, les aider.

Un soldat qui vole des poules pendant la drôle de guerre, dans Coq colonel, un autre qui se fait lui-même la «bonne» blessure, dans Croquis coté, sont dès le début des occasions de parler à l'homme. Et sans équivoque : « Je te désapprouve, Cloarerc, mon petit père. Totalement. » Et le « mon petit père » donne le ton de tout le livre, pour ce qu'il contient aussi de compréhension, de solidarité, de fraternité, d'esprit de responsabilité de chacun à l'égard de chacun. La plus grande chose est de pouvoir regarder en face, avec fierté, le mal comme le bien. Cette fierté est le premier personnage de plusieurs de ces histoires, depuis celle où un candidat professeur de dessin répugne à mener une sorte de campagne électorale de général en amiral et de colonel en membre de l'Institut, jusqu'à celle, Les trois gifles, où notamment l'admirable dignité d'officiers soviétique est opposée à l'ordure morale d'un « demi-sel » de la Waffen SS française. L'ordure morale, l'horreur morale, il y a dans ce livre un des croquis les plus terribles qui en aient été faits. C'est; dans cette même nouvelle, une leçon donnée par le chef du camp à son fils, âgé de cinq ans, devant un déporté : « Il avait doucement parlé au petit. L'enfant avait laissé tomber son mouchoir, l'officier avait ordonné à l'esclave de la ramasser. Celui-ci s'était rapidement baissé, la main tendue, saisissant le fin tissu, et l'enfant lui avait porté au visage un grand coup de son petit pied ferré à glace... » C'est la même horreur morale, la même inhumanité « ferré à glace », que dégage, dans le temps d'un coup d'œil, « la plus belle femme du monde », cette extraordinaire image contradictoire, que ces « esclaves » voient passer dans « sa honte dorée, drapée dans son mépris immaculé ».

Le temps d'un coup d'œil. Un croquis. Ces mots venus sous la plume disent déjà combien on sent, à tout moment, le peintre sous l'écrivain. Et sous le livre un carnet ouvert. Un simple «croquis coté» peut poser beaucoup de problèmes. Le plus beau cadeau que l'auteur ait reçu de sa vie, c'est à Büchenwald « un petit bloc de vrai papier à dessin et un tout petit bout de crayon ». Nous savons d'ailleurs ce qu'il en a fait. La façon enfin dont l'écrivain note une conversation, à bâtons vraiment rompus, de ses amis, tient du dessin crayonné en cachette, et l'un d'eux, peintre aussi, que tous ceux qui l'aiment reconnaîtront joyeusement, peut s'écrier quand il s'aperçoit : «Tu parles! Ce n'est pas ainsi qu'il tient son crayon pour dessiner. Tu écris quoi, crapule?» Il est vrai qu'écrire, pour un peintre, peut apparaître comme une sorte de trahison, surtout s'il n'est pas tendre pour «ces messieurs les écrivains». Celui-ci pourtant s'entend à la littérature, quoi qu'il en dise, tout autrement qu' «un écrivain du dimanche». Parler de carnet ne signifie pas que tout cela soit rapidement tracé, sans fini. Si certaines pages sont écrites au crayon, pour garder la fraîcheur de l'esquisse, d'autres le sont à l'encre de Chine, et on y sent tout ce que l'art de dessiner apporte à l'art d'écrire. Ce sont celles surtout où il est question du portrait, ou qui nous donnent elle-mêmes des portraits de personnages, des exemples de portraits écrits comme un peintre les peint. Pendez ces pages au mur d'un musée, elle tiennent; elles retiennent le regard, et longtemps. C'est le portrait de ce capitaine, qui s'achève ainsi : « Contrairement à ce qu'affirme l'autre, que les yeux sont le miroir de l'âme, je sais bien par une longue découverte du portrait que c'est toujours la bouche qui trahit l'homme et non les yeux ». C'est le portrait de L'amour d'Amaury, Sylvie, La beauté du refus féroce, et d'autres. Et de là vient aussi cette expression franche, claire, sans surchage. La morale elle-même est dans le regard, plus que dans les commentaires. La profondeur tient dans le trait.

C'est le propre de tout artiste de ne pas se satisfaire de la surface des choses. Qu'il soit peintre ou écrivain. L'amour de l'homme crève le papier comme la toile. Et aucun de «ces messieurs les écrivain» ne se formalisera sans doute d'une polémique affectueuse, d'une émulation d'autant plus fraternelle que l'auteur est à la fois juge et partie. Les écrivains ? « Des gens qui n'ont pas le sens des rapports. Les yeux, ils ne voient qu'eux. Le miroir de l'âme, vous savez bien. Nous, nous savons bien d'autres choses. Posez un ton faux dans le fond, cet autre plan de l'expression mobile, et vous avez raté les yeux. Vous avez tout manqué. L'œil, c'est une affaire d'atmosphère, la psychologie : une science des rapports. La plume aura beau faire, elle ne peut échapper à sa nature, elle ne peindra jamais que des mots. » Comme tu dis, collègue... L'essentiel n'est-il pas cet amour de l'homme, qui fait que chaque mot, comme chaque trait, est une recherche si passionnée, et de bien autre chose que de formes, de bien autre chose que la réussite d'une histoire ou d'une ressemblance, une recherche de vérité humaine et d'efficacité humaine ? Par exemple, « il faut être deux pour faire un portait ». Cet amour de l'homme qui fait dire, devant un officier capable de mourir pour un juste « baroud d'honneur » : « Jamais je n'ai autant aimé un homme qu'en cet instant-là, celui-là qui incarnait tout ce qui m'était étranger, tout hors le principal. » Cet amour de l'homme qu'exprime si fort l'histoire du jeune Hans, libre après douze ans de bagne, et qui ne sait pas — où l'aurait-il appris ? — ce qu'est une jeune fille qui rit. Cet amour de l'homme qui caresse — serait-ce à rebrousse poil — jusqu'aux « dadas » des divers amis réunis, pour l'un la musique de Berlioz, pour un autre la peinture de fresque, pour un autre le frère de Van Gogh.

Cet amour de l'homme qui, dans tout art vrai, met ainsi en fin de compte d'accord tous les goûts et les couleurs, et fera aimer, cher tambour, ton livre écrit peu-être le dimanche, mais avec le cœur de toute la semaine. Et le reste n'est que peinture.

(1) Éditeurs Français Réunis.

André STIL

Jean ROLLIN, L'Humanité, 3 mai 1965

Pour le 20e anniversaire de la libération des camps

B. TASLITZKY a peint :
« L'insurrection victorieuse de Buchenwald »

Boris Taslitzky vient d'exécuter « L'insurrection victorieuse de Buchenwald » (11 avril 1945), pour le musée de Saint-Ouen où cette vaste composition a déjà trouvé place.

— « Si mon tableau a pour sujet cette action et ce lieu, nous a dit l'artiste, il a dans l'esprit de son auteur une valeur plus générale. Il est un hommage à tous les déportés de toutes les nationalités qui se sont battus et ont résisté à l'entreprise d'abaissement, qu'ils aient vu ou non la victoire. Un hommage aux combattants de tous les camps, même si les circonstances de notre vie à tous ont fait que ce jour là c'est à Buchenwald que cette action a eu lieu, a pu avoir lieu. »

— Votre œuvre se signale par un mouvement vraiment extraordinaire. Ce que vous avez représenté avec tant de fougue, c'est bien la ruée des combattants sur les postes allemands.
— Oui, et pour cela, j'ai situé mes personnages dans l'angle visuel des sentinelles, imaginant ce que celles-ci durent voir et non ce que je vis moi-même ce jour-là. S'agissant d'une attaque frontale, c'est esthétiquement une attaque frontale que mon tableau propose au spectateur.

— Vous êtes aussi l'auteur de cent onze dessins faits à Buchenwald et de trois grands tableaux consacrés à la déportation : « Le Wagon des déportés » (musée de Saint-Denis) ; « Le petit camp de Buchenwald » (Musée national d'Art moderne) ; « la mort de Danielle Casanova » (musée de l'Histoire de Montreuil). C'est la douloureuse épopée des camps que célèbre ainsi une partie importante de votre création.
— « Les œuvres que vous venez d'énumérer sont dédiés à la grandeur du martyre et à la dignité des déportés. Dans mon dernier tableau, j'ai voulu clore cette série par l'image d'un haut fait accompli par les internés de Buchenwald le 11 avril 1945, et qui les libéra les armes à la main. Je l'ai fait dans l'esprit qui fut constamment le nôtre du jour de notre entrée dans l'action clandestine à celui de notre libération, c'est-à-dire dans l'optique et l'action du combat. »

— La réalisation de « L'insurrection victorieuse de Buchenwald » coïncide avec le 20e anniversaire de la libération des camps. Une telle circonstance n'est sans doute pas étrangère au choix que vous avez fait de votre sujet ?
— Certainement mais de toute façon j'avais besoin de peindre ce tableau, ne fût-ce que pour rappeler ceci : la déportation ne fut pas seulement l'époque du martyre, mais elle continua à être celle de la Résistance, au cours de laquelle des êtres nus et désarmés surent ne rien céder à leur dignité et, en fin de compte, réussir à vaincre en combattant. J'ai assez de ne voir que des larmes sur notre souvenir. Je tiens à ce que l'on sache et comprenne que, jusque dans le gouffre, nous fûmes des soldats. Que nul ne l'oublie comme nous ne l'avons pas oublié nous-mêmes, ni non plus pardonné, car le pardon ici ne s'adresserait qu'à l'ordre nazi, ce qui constituerait un crime de lèse-humanité. La réconciliation franco-allemande passe nécessairement par le châtiment des hitlériens par le peuple allemand lui-même. »

Jean ROLLIN